Les zouaves pontificaux à Lavaltrie
Benjamin-Antoine Testard de Montigny
L’année 2018 marque le 150e anniversaire du départ du premier Détachement de zouaves canadiens pour Rome. Ce fut un grand moment dans l’histoire du Québec alors qu’environ 500 jeunes, transportés par leur foi, se portèrent en 1868-1870 volontaires pour la défense du Pape. À la suite d’une suggestion faite par Mgr Ignace Bourget, évêque du diocèse de Montréal, en décembre 1867, laquelle fut reprise par plusieurs autres évêques et curés, un grand nombre de jeunes ont même délaissé leurs études pour s’enrôler afin d’aller défendre le pape Pie IX contre le roi Victor Emmanuel II et les troupes de Garibaldi qui voulaient s’emparer des États pontificaux pour unifier l’Italie. Pour être accepté dans le régiment des zouaves canadiens, il fallait démontrer des qualités non seulement physiques mais aussi morales. En général, il fallait une lettre de recommandation du curé de la paroisse. On a dénombré 383 Canadiens français qui se rendirent à Rome pour rejoindre les armées pontificales avant la reddition du Pape le 20 septembre 1870. Un dernier groupe de 116 volontaires, ayant quitté le Canada le 31 août 1870, étaient bloqués en France lorsqu’ils reçurent la mauvaise nouvelle de la prise de Rome. Mais au moment de la fin des hostilités, la moitié des quatre cents zouaves environ qui s’étaient rendus à Rome avaient terminé leur engagement de deux ans et avaient été rapatriés au Québec. Dans les faits, peu de zouaves canadiens ont participé à des batailles militaires et ont pu se distinguer comme soldats du Pape mais cela n’a pas empêché la population de les considérer comme des héros.
Avant même que les autorités religieuses du Québec pensent encourager les jeunes gens de la province à joindre l’armée pontificale, un premier Canadien français avait décidé de le faire. Il s’agit de Benjamin-Antoine Testard de Montigny qui fit des études au Collège de Joliette (1851-1852) avant de devenir avocat en décembre 1859. C’est le 15 janvier 1861, alors qu’il se trouva à Paris, qu’il s’enrôla au service du Pape; il passa plusieurs mois dans l’armée pontificale avant d’être licencié le 17 août 1862. Mais fait intéressant, ce premier zouave canadien devait épouser le 10 mai 1869 une fille de Lavaltrie, soit Marie-Louise Hétu, fille de Pierre Hétu et de Sophronie Guilbault. Journaliste et auteur de plusieurs ouvrages, Benjamin-Antoine Testard de Montigny fut aussi recorder (juge) de la Ville de Montréal.
Parmi les jeunes « croisés » qui devinrent membres du premier Détachement des zouaves pontificaux qui partirent pour l’Italie après une fête grandiose tenue à l’église Notre-Dame de Montréal le 18 février 1868, se trouvaient deux personnes originaires de Lavaltrie, soit Jérémie-Denis Laporte et Étienne Rosseling. Jérémie-Denis Laporte est né et baptisé à Lavaltrie le 25 avril 1845; il était le fils de Jérémie Laporte, cultivateur, et d’Élise Lévesque. On raconte que : « Dans l’après-midi du dimanche du 16 février [1868] il se rendait à Lavaltrie, en voiture pour faire ses adieux à ses parents et amis ». Le 18 février, il signa son engagement à l’Institut Canadien situé à Montréal et une importante cérémonie eut lieu en l’église Notre-Dame pour souligner le départ de ces premiers zouaves canadiens. Après avoir pris le train pour se rendre à New-York, il s’embarqua, le 21 février 1968, à bord du navire français Saint-Laurent en partance pour l’Europe. Il arriva finalement en Italie le 8 mars et, à Rome, le mardi 9 mars 1868. Le 16 mars 1868, Jérémie-Denis Laporte (matricule 7294 et domicilié à Lavaltrie) revêtait l’uniforme si caractéristique des zouaves et s’en déclara content. Mais il devait vite déchanter de son séjour à Rome comme soldat du Pape alors qu’il fut astreint à différentes corvées et souvent malade. Dans son journal racontant son aventure à Rome il a décrit en détails son séjour en Italie et ses nombreuses privations comme soldat. Le 12 août 1868, il écrivait qu’il regrettait avoir quitté le Canada et si, ce n’était pas honteux pour un zouave de pleurer, il pleurerait. Le moins qu’on le puisse dire, c’est que son séjour à Rome ne se déroula pas comme il l’avait espéré et il fut amèrement déçu notamment en raison de la façon dont il fut traité par certains officiers.
Libéré le 17 mars 1870 et de retour au Québec en avril 1870, après deux ans de misères et d’ennuis, et sans jamais avoir fait la guerre, le caporal Jérémie-Denis Laporte travailla quelques temps comme aide-forgeron chez son frère Edmond Laporte à Oswego, États-Unis. Sentant sa santé déclinée, il revint toutefois à Saint-Sulpice pour découvrir qu’il était atteint de la tuberculose. Il décéda le 10 juin 1872 à l’âge de 27 ans. Il fut inhumé le 14 juin 1872 dans le cimetière paroissial de Saint-Sulpice. Son acte de décès le décrit comme « capitaine des zouaves pontificaux ».
Étienne Rosseling est un autre zouave pontifical que l’on présente comme originaire de Lavaltrie. Sa vie n’est pas facile à suivre. Nous le retrouvons d’abord au recensement de 1851 à Lavaltrie; il est âgé de 16 ans et dit né à Lavaltrie. En 1861 il est encore recensé à Lavaltrie et âgé de 24 ans. Lors de ces derniers recensements, Étienne Rosseling semble demeurer chez Thérèse Bourgeau âgée de 67 ans en 1851 et de 76 ans en 1861. Mais ce qui est certain, c’est qu’Étienne Rosseling se retrouve sur la liste des zouaves pontificaux qui ont composé le premier Détachement envoyé par le Canada en février1868 et il est présenté au moment de son départ comme étant de St-Barthélemy. Qui plus est, il a fait un don de 100 $ à l’Oeuvre des zouaves pontificaux en Canada. Dans Les zouaves pontificaux, on a écrit : « Kosling (ou Rosling), Stéphane, fils de François et de Marie, né à Lavaltrie…, domicilié à Lavaltrie, tailleur; zouave de première classe le 21 mars 1869, libéré à la fin de son engagement le 14 avril 1870 »
En plus de Jérémie-Denis Laporte et d’Étienne Rosseling, d’autres jeunes hommes originaires de Lavaltrie sont devenus zouaves et cette expérience a marqué à jamais leur vie. Il y a d’abord Agapit Douaire de Bondy, dont le père fut le deuxième maire de Lavaltrie en 1858, qui rejoignit le IVe Détachement des zouaves pontificaux en juillet 1868. Il fut assassiné à Rome et devait mourir à l’Hôpital militaire le 4 décembre 1869. Il est un des huit zouaves pontificaux canadiens qui reposent dans le cimetière San Lorenzo à Rome.
Jean-Baptiste Laporte est né à Lavaltrie le 10 février 1840. Il était le fils de Charles Laporte, cultivateur, et de Marguerite Lacombe. Le 21 octobre 1869, alors qu’il étudiait la médecine, il s’enrôla comme zouave pontifical dans le 5e Régiment des Zouaves pontificaux canadiens. Au moment de son rapatriement au Canada en septembre 1869, Jean-Baptiste Laporte était hospitalisé à l’hôpital « Santo Spirito » (du Saint-Esprit) à Rome. Devenu médecin, il s’établit à Contrecoeur où il épousa en 1874 Arthémise LeNoblet Du Plessis, fille du notaire Norbert LeNoblet Du Plessis qui fut le premier secrétaire-trésorier de la Municipalité de Lavaltrie en1855. Au mois de mai 1875, le Dr Jean-Baptiste Laporte déménagea à Verchères où il pratiqua sa profession jusqu’à son décès survenu le 6 mai 1928 à l’âge de 88 ans. Il fut inhumé à ce dernier endroit le 9 mai 1928.
Lucien Benoit, dont le père Isaac Benoit fut le premier instituteur de Lavaltrie, est connu principalement comme un sculpteur. Mais c’est aussi un zouave pontifical qui va continuer après son retour au Québec à parader avec d’autres zouaves lors de certains événements spéciaux. À peine son apprentissage de sculpteur commencé, le jeune Benoit répond à l’appel de Mgr Ignace Bourget pour la défense des États pontificaux et s’engage le 8 septembre 1870 avec le dernier groupe de zouaves canadiens qui s’enrôlèrent dans l’armée du Pape. Mais sa participation n’a certainement pu être très importante puisque les zouaves déposent les armes le 21 septembre 1870. Il revient donc à Montréal avec son bataillon qui est malgré tout acclamé par la population. Il se rappellera toute sa vie de cette expérience comme « zouave pontifical ». En 1899, une Association des zouaves du Québec est d’ailleurs créée sous forme d’un régiment arborant l’uniforme et les armes de 1868 et dont les sorties publiques sont toujours très remarquées. Il est même arrivé que les anciens zouaves se rendent au Cimetière Notre-Dame-des-Neiges, dans le cadre de leur pèlerinage annuel, pour honorer la tombe de leur camarade Lucien Benoit du 6e détachement qui fut un membre actif de leur association. Lucien Benoit décéda dans sa maison de campagne de Lavaltrie le 14 septembre 1936 à l’âge de 86 ans et 2 mois. Sa carte mortuaire nous le présente avec son uniforme de zouave. Un de ses petits-fils m’a déjà raconté qu’il aimait visiter son grand-père Benoit le vendredi puisque, en tant qu’ancien zouave, il avait le droit avec ses invités de manger de la viande alors que c’était interdit pour les autres catholiques. À défaut de pouvoir payer ses soldats, le Pape leur avait en effet attribué le privilège de manger « gras » le vendredi.
Le nom de Lucien Benoit et des autres zouaves sont aujourd’hui inscrits sur des tablettes de marbre conservées dans la Basilique-Cathédrale Marie Reine-du-Monde, située sur le boulevard René-Lévesque à Montréal, pour rappeler le souvenir de ceux qui prirent part de 1868 à 1879 à cette « belle et vaine croisade des zouaves pontificaux »..
Me Jean Hétu, Ad. E.