VICTOR BOURGEAU (1809-1888), ARCHITECTE
Par Jean Hétu
« Texte révisé et amélioré »
Victor Bourgeau, fils de Basile Bourgeau et de Marie Lavoie, est né à Lavaltrie le 26 septembre 1809. Architecte de plus de deux cents édifices au Québec, comprenant une cinquantaine d’églises ainsi que plusieurs presbytères et couvents, Bourgeau a eu une influence marquante sur la constitution du patrimoine immobilier à caractère religieux de la région de Montréal au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle. La thèse de doctorat que lui a consacrée en 1983 Raymonde Landry-Gauthier nous révèle toute l’ampleur de l’œuvre de Bourgeau. Cette dernière a d’ailleurs dressé un inventaire des projets majeurs réalisés par Bourgeau dans un article intitulé « Une pratique architecturale au XIXe siècle, Victor Bourgeau 1809-1888 » et publié dans le numéro du mois février 1988 de la Revue de l’Ordre des architectes du Québec (A. R. Q. Architecture Québec, p. 10-23). Gérard Morisset a écrit : « La place qu’occupe Victor Bourgeau dans l’architecture de la région montréalaise au milieu du XIXe siècle est la même que tient Thomas Baillargé dans l’architecture de la région québécoise; et cette place est la première » (La Patrie, dimanche 7 mai 1950, p. 26). D’ailleurs, le nom de Victor Bourgeau revient encore aujourd’hui dans les médias lorsqu’on se demande s’il faut protéger tel bâtiment de notre patrimoine religieux. Dans le cadre de cette biographie, nous nous intéressons plus particulièrement à la famille de Victor Bourgeau originaire de Lavaltrie.
C’est dans une famille de charpentiers-menuisiers que Victor Bourgeau, de la quatrième génération, a d’abord appris son métier. Son ancêtre, Quentin Bourgeot, fils de Jean Bourgeot maître charron en Bourgogne (France), avait épousé à Charlesbourg le 27 novembre 1735 Anne Chamard, avant de venir s’établir à Lavaltrie où il fut inhumé à l’âge de 72 ans le 20 juillet 1780. L’aîné de ses fils, prénommé Quentin, épousa le 23 janvier 1764 Marie-Geneviève Guyon (Dion) à Saint-François-Rivière-du-Sud et ils eurent 19 enfants incluant 13 garçons dont certains furent des menuisiers artisans. Un de ces garçons fut le père de l’architecte Victor Bourgeau; c’était Basile Bourgeot, menuisier ou charron, né à Lavaltrie le 4 juillet 1776, qui épousa Marie Lavoie à Lavaltrie le 16 novembre 1801. Marie Lavoie décéda, âgée de 40 ans, le 1er août 1815 alors que son fils Victor, né le 26 septembre 1809, n’avait pas encore 6 ans. Basile Bourgeot se remaria avec Catherine (ou Marguerite) Lafleur, veuve de Jean-Baptiste Peraut à Lavaltrie le 11 septembre 1815. Il est décédé à l’âge de 58 ans le 13 avril 1833 et fut inhumé dans le cimetière de Lavaltrie le 15 avril. En plus de Victor, Basile Bourgeot était aussi le père de : Sophie qui épousa Joseph Labrecque (28 juin 1830, Lavaltrie); Jean-Baptiste qui épousa d’abord Marguerite Goget (Goyette) (26 janvier 1795, Lavaltrie) puis Thérèse Han-Chaussé (5 août 1833, Saint-Sulpice); Antoine qui épousa Sophie Beaudoin (21 juillet 1830, Saint-Paul); Basile qui épousa Sophie Guerré (Gueriez dit Dumont) (26 novembre 1828, Lanoraie) puis Julie Ayotte (11 novembre 1833, Lavaltrie).
Le prénom de Victor est assez fréquent dans la famille Bourgeot (Bourgeau, Bourgeault). L’architecte Victor Bourgeau semble avoir appris les rudiments de son métier auprès de son père et de son oncle Victor Bourgeault, charpentier et menuisier, époux en 1818 de Marie Josephte Bourque (Bourg). L’oncle Victor était le père de l’abbé Florent Bourgeault et d’un autre Victor Bourgeault fils présenté comme un menuisier sculpteur. Il semble que l’architecte collabora à quelques reprises avec son oncle et surtout avec son cousin pour l’ornementation de certaines églises. On note par exemple que le cousin Victor Bougeault fit des « ouvrages en sculpture » dans l’église de L’Assomption en 1865 ainsi que dans l’église de Lavaltrie en 1869. On distingue les deux branches familiales par la façon d’écrire leur patronyme. L’oncle Victor Bourgeault décéda à Lavaltrie le 6 novembre 1853 à l’âge de 62 ans. Le cousin Victor Bourgeault fils, menuisier sculpteur, époux le 20 juillet 1867 (à Lavaltrie) d’Adèle Rivière, maire de Lavaltrie de 1862 à 1864, décéda à cet endroit le 25 mai 1890 à l’âge de 67 ans et fut inhumé dans le cimetière paroissial en présence de son fils également prénommé Victor qui sera aussi maire en 1905-1906. Lorsque David Karel, dans Dictionnaire des artistes de langue française en Amérique du Nord (p. 117) écrit que vers 1865 Victor Bourgeault sculpta, « suivant un plan de l’architecte sculpteur Victor Bourgeau, la chaire de l’église de La Prairie », il ne peut faire référence qu’à son cousin puisque l’oncle était décédé depuis 1853.
Victor Bourgeau est un homme de peu d’instruction qui pourtant va réaliser de grandes choses. Il n’a pu fréquenter l’école puisque l’on note la présence d’un premier instituteur à Lavaltrie qu’en 1840; il s’agissait d’Isaac Benoit. D’ailleurs, lorsqu’il se marie en 1833, il déclare ne pas savoir signer. Il fait de même, le 5 février 1835, lors du baptême de sa filleule (et plus tard sa fille adoptive), Marie Edwidge Bourgeau, fille de son frère Antoine Bourgeau, menuisier, et de Sophie Beaudoin de Saint Paul de Lavaltrie (plus tard Saint-Paul de Joliette). De même, lors du baptême de son fils « David Trefflé Adolphe » le 22 décembre 1837, il est écrit dans le registre de l’église Notre-Dame que le père a déclaré ne pas savoir signer. Toutefois, il semble qu’il possédait un don inné pour la construction des églises. Son cousin, l’abbé Florent Bourgeault, écrivait dans La Minerve du 22 mars 1888 : « il était bien jeune encore quand des charpentiers construisirent le clocher qui surmontait l’ancienne église de Lavaltrie, mais il voulut les imiter et y réussit en faisant un tout petit clocher en tout semblable à celui de l’église ». L’abbé Bourgeault ajouta que « devenu ainsi que Jean-Baptiste, son frère, mort depuis quelques années, un menuisier de premier ordre, il songea à devenir quelque chose de plus ». Si son premier apprentissage se fait auprès de son oncle Victor Bourgeault qui lui aurait appris un peu l’écriture et le calcul, il est certainement survenu quelque chose d’exceptionnel pour que Victor Bourgeau puisse parfaire son instruction et éventuellement concevoir des plans et devis. Mgr Olivier Maureault rapporte que Bourgeau aurait rencontré à Montréal dans les années 1830 le peintre italien Angelo Pienovi qui, sans ressources financières, lui aurait offert de lui enseigner ce qu’il savait en échange d’un gîte (Saint-Jacques de Montréal. L’église. La paroisse, Montréal, 1923, p. 54). À notre avis, il faut prendre avec un grain de sel cette histoire de Mgr Moreau car Victor Bourgeau est encore incapable de signer en décembre 1837. Cependant, un fait est incontestable, le 19 mars 1842, Victor Bourgeau, maître-menuisier, signe un contrat d’achat d’un immeuble avec Louis-Joseph Papineau; il sait donc écrire et sa carrière peut alors prendre son envol.
Les premiers travaux reconnus à Victor Bourgeau concernent des réparations à l’église de Saint-Famille-de-Boucherville en 1839. En 1849, il accepte de voir à l’agrandissement de l’église Sainte-Anne-de-Varennes construite en 1780. Il s’occupera aussi de réparations majeures à l’église de La Purification-de-Repentigny en 1850. Il supervise la décoration intérieure de la basilique St. Patrick de Montréal de 1849. Cela dit, sa carrière d’architecte sera vraiment lancée en 1851 lorsqu’il est choisi pour concevoir les plans de l’église Saint-Pierre-Apôtre, sur la rue de la Visitation à Montréal, pour servir aux Pères Oblats de Marie Immaculée. Bourgeau va également dessiner les plans des autels de cette église en 1854. Après les éloges reçus pour cette belle construction de style néogothique (inaugurée le 26 juin 1853), Victor Bourgeau va devenir un architecte très recherché d’autant plus qu’il est fortement recommandé par Mgr Ignace Bourget. On peut même s’étonner devant le très grand nombre de ses réalisations qui s’échelonnent sur une période d’environ 40 ans.
Victor Bourgeau est venu résider à Montréal vers 1835 car il se déclare résident de la paroisse Notre-Dame lors du baptême de son fils « Louis Rock Alfred » le 24 septembre 1835 alors qu’il habitait L’Assomption lors du baptême de « Victor Pierre Henry » le 19 juin 1934. Il semble avoir établi comme menuisier son atelier vers 1842 sur la rue Lagauchetière, près de la rue Saint-Denis. Dans le Lovell (Montreal Directory) pour l’année 1843-1844, il se présente d’abord comme un menuisier (« carpenter »). On note aussi la présence à Montréal, à partir de 1850, d’autres membres de la famille qui sont également des menuisiers (« carpenter »), soit B. Bourgeau et Pierre Bourgeau. Ces derniers ont peut-être collaboré aux projets de construction de Victor Bourgeau, dont le nom n’apparaît plus sur la liste des résidents de Montréal dans les éditions du Lovell entre 1852 et 1857. Quoi qu’il en soit, Le Journal de Québec annonce le mardi 17 juillet 1856 (p. 2) qu’il vient de se former à Montréal l’Institut Philotechnique, une société pour l’encouragement des arts et des sciences qui comprend trois académies, Le nom de Victor Bourgeau apparaît comme un membre fondateur de l’Académie des Beaux-Arts. Lorsque nous retrouvons le nom de Victor Bourgeau dans l’édition montréalaise du Lovell pour l’année 1857-1858, il n’est plus un simple menuisier mais un « architecte » demeurant au 46 rue Dorchester à Montréal. Au moment de sa deuxième association avec Étienne Alcibiade Leprohon en 1880, il réside au 390 rue Dorchester. À son décès, il réside au 498 rue Dorchester. Sa résidence sera démolie lors de l’élargissement du boulevard Dorchester.
C’est à partir de son atelier de la rue Lagauchetière que Victor Bourgeau va participer au développement du diocèse de Montréal sous l’impulsion de son évêque, Mgr Ignace Bourget, qui l’impose comme seul architecte dans les paroisses nouvellement établies dans son diocèse. Selon Raymonde Landry-Gauthier, on doit à Bourgeau les plans de plus de soixante églises et d’un grand nombre de presbytères et de chapelles. On peut souligner, par exemple, la construction de la chapelle de procession de Saint-Anne à Varennes en 1863. Bourgeau travaille habituellement seul, mais débordé de travail il va d’abord s’associer avec Étienne Alcibiade Leprohon (1842-1902) à partir du 1er janvier1869 (Acte de société entre Victor Bourgeau et Étienne Alcibiade Leprohon, 23 janvier 1869, no 2873, notaire L. O. Hétu). Ce premier contrat de la société « Bourgeau & Leprohon » prévoit que Bourgeau possède les deux tiers des intérêts dans la société et que cette association est pour une durée d’une année mais elle subsistera jusqu’au 29 mai 1877 (Avte de dissolution de la société entre Victor Bourgeau et Étienne Alcibiade Leprohon, 29 mai 1877, no 8482, notaire L. O. Hétu). Une deuxième société sera créée entre les mêmes parties à compter du 1er mai 1880 pour une durée de cinq ans, soit jusqu’en 1885; le bureau d’affaires sera établi à la résidence de Bourgeau; Leprohon aura les deux tiers des intérêts dans la société en contrepartie de la constitution d’une rente viagère en faveur de Bourgeau au montant annuel de 84 $ payable en douze versements mensuels de 7 $ (Acte de société entre Victor Bourgeau et Étienne Alcibiade Leprohon et constitution de rente par ce dernier en faveur du premier, 18 août 1880, no 9869, notaire L. O. Hétu). Les œuvres réalisés par ces deux architectes concernent notamment les bâtiments suivsants : église de Saint-Joseph de Chambly (1881); église de l’Île-Bizard (1881); Entrepôt d’Examen à Montréal (Département des Travaux publics, Ottawa, 1874); Hôpital général de Montréal; Hospice Saint-Joseph (autel en marbre, 1883); les trois autels de l’église Sainte-Anne à Montréal (1871); clocher de Saint-Jacques de Montréal (1876); église de Saint-Cuthbert (1875); intérieur de l’église de Saint-Laurent, près de Montréal; église de Sain-Martin (Laval, 1877); église de Terrebonne (1882). Le presbytère de Saint-Cuthbert a été construit en 1876 par François Archambault d’après les plans de Bourgeau et de Leprohon. La composition et l’ornementation de ce bâtiment ayant été jugées exceptionnelles, il fut classé monument historique en 1980 (Nos Sources, Bulletin de la Société de généalogie de Lanaudière, vol. 34, no 4, décembre 2014, p. 151-152). Ces deux derniers architectes seront aussi les concepteurs en 1881 du presbytère de Pointe-aux-Trembles (Saint-Enfant-Jésus). Toutefois, l’association entre Bourgeau et Leprohon semble s’être mal terminée comme le prouve un acte d’arrangement conclu en 1888 devant le notaire Hétu par les héritiers de Bourgeau (Acte d’arrangement et décharge mutuelle entre Étienne Alcibiade Leprohon et Le Rév. Messsire Florent Bourgeault es qualité et Dame Delphine Viau, veuve de feu Victor Bourgeau Ecr., 3 avril 1888, no 11848, L. O. Hétu notaire). On voulait ainsi régler à l’amiable une poursuite intentée par Victor Bourgeau contre Leprohon reliée aux affaires de leur société. Ce dernier accepte, pour mettre fin à la poursuite, de verser 100 $ à l’abbé Florent Bourgeaut, le légataire à titre universel de la succession de Bourgeau, et de remettre à la veuve Bourgeau tous les biens mobiliers situés dans la maison de Victor Bourgeau que celui-ci avait vendus le 8 juillet 1880 à Leprohon (à l’exception des meubles de la chambre de Madame Bourgeau). On peut penser que l’épouse de Bourgeau n’avait pas beaucoup apprécié une telle vente. Ajoutons que c’est à la suite de ce litige avec son vieil associé Leprohon que Bourgeau décida vers la fin de sa vie de créer une autre société avec l’architecte Alfred Préfontaine, laquelle existait encore au décès de Bourgeau.
Une des grandes réalisations de Bourgeau sera, avec l’aide du Père Joseph Michaud (1822-1902), la construction à Montréal de la Cathédrale Saint-Jacques-le-Majeur (devenue en 1955 la Basilique-Cathédrale Marie-Reine-du-Monde) fidèle au modèle réduit de la Basilique de Saint-Pierre-de-Rome. D’ailleurs, avant même de concevoir ses plans, Bourgeau fit en février 1857, comme l’annonce Le Courrier du Canada du 20 février 1857, un voyage à Rome afin de visiter les principaux monuments de la papauté afin de peut-être pouvoir les reproduire; ce fut son seul voyage en Europe. C’est toutefois seulement le 28 août 1870 que Mgr Bourget posa la première pierre de sa Cathédrale dont les travaux furent interrompus pendant plusieurs années avant d’être repris en 1885 pour se terminer en 1894, soit après le décès de son architecte. Victor Bourgeau consacra donc les dernières années de sa vie à concrétiser le rêve de son protecteur Mgr Bourget dont le mausolée se trouve aujourd’hui dans la Basilique.
Selon Raymonde Landry-Gauthier, Bourgeau excellait aussi dans l’ornementation intérieure des églises; elle écrit dans sa thèse de doctorat (p. 162) : « Les paroisses recouraient systématiquement à ses soins pour modifier un décor exécuté antérieurement ou en créer un nouveau ». On a écrit qu’il avait décoré environ 23 églises. À cet égard, il faut retenir la majestueuse décoration en bois sculpté, peint et doré, à l’intérieur de la Basilique Notre-Dame de Montréal qui, chaque année, fait l’admiration de milliers de touristes. L’abbé Benjamin-Victor Rousselot, curé de Notre-Dame, avait fait appel aux services de Bourgeau qui déposa un projet dès 1869, mais les travaux ne débutèrent qu’en 1874 pour se terminer vers 1880. Quant à la chaire, elle fut dessinée par Henri Bouriché mais modifiée par Victor Bourgeau, avant d’être réalisée pendant les années 1883-1885.
Victor Bourgeau va aussi élaborer les plans de plusieurs églises dans d’autres diocèses que celui de Montréal, par exemple ceux de Trois-Rivières et de Saint-Hyacinthe. Soulignons que c’est Bourgeau qui dessina les plans de la cathédrale de Trois-Rivières en 1853 ainsi que ceux de l’église de Saint-Hyacinthe en 1858 tout comme l’ornementation de cette dernière en 1861. Le travail d’architecte de Victor Bourgeau a largement dépassé la région de Montréal. Ses plans ont été utilisés par exemple pour : la Cathédrale de Saint-Germain-de-Rimouski (1862); et les églises de L’Assomption-de-Maniwaki (1867), de Sainte-Victoire-de-Victoriaville (1869) et de Saint-Stanislas-de-Champlain (1872).
C’est encore Raymonde Landry-Gauthier qui ajoute que l’aptitude de Bourgeau à construire des bâtiments à des coûts restreints est appréciée de la part des catholiques peu fortunés. Par contre, c’est peut-être cette préoccupation financière qui a empêché Bourgeau de faire preuve de plus de créativité artistique. Quoi qu’il en soit, si on se fie à l’inventaire de ses biens fait au moment de son décès par son ami le notaire Léonard Ovide Hétu (également originaire de Lavaltrie), force est de constater que Bourgeau n’a pas cherché à s’enrichir de façon excessive par son travail qui aurait probablement mérité une meilleure rémunération. L’inventaire après décès ne révèle pas la richesse de Bourgeau car il a tout fait pour se départir de ses biens afin, à notre avis, d’en laisser le moins possible à sa deuxième épouse.
Victor Bourgeau est aussi l’architecte des communautés religieuses pour lesquelles il a conçu les plans de nombreux édifices comme l’Hôtel-Dieu de Montréal (1859-1861) des Sœurs Hospitalières de Saint-Joseph. Mgr Bourget incite d’ailleurs les communautés religieuses placées sous sa protection à recourir aux services de Bourgeau. Même s’il est reconnu comme l’architecte des Sœurs Grises (Sœurs de la Charité de Montréal), d’autres communautés qui prennent beaucoup d’expansion font aussi appel à ses services pour la construction de leurs couvents ou de leurs maisons d’enseignement; on peut penser ici aux Religieuses de la Congrégation Notre-Dame, aux Sœurs de la Providence, aux Sœurs des Saints Noms de Jésus et de Marie et aux Sœurs de Miséricorde. Parmi les réalisations de Bourgeau, il faut notamment souligner la Maison mère des Sœurs Grises (1868-1871) sur le boulevard René-Lévesque vendue en 2007 à l’Université Concordia qui devra conserver la chapelle classée monument historique ainsi que la Chapelle du Bon-Pasteur à Montréal (1878) sur la rue Sherbrooke devenue aujourd’hui une salle de concert. Bourgeau a préparé aussi les plans du noviciat des Oblats de Marie Immaculée à Lachine (1868). On pourrait ajouter la conception des plans de la Chapelle de l’Hôtel-Dieu des Sœurs Hospitalières de Saint-Joseph ainsi que la Chapelle du Grand Séminaire de Montréal. Enfin, notons qu’il a dirigé des travaux de construction ou de réfection concernant des séminaires, des collèges ou des pensionnats comme à Nicolet, Longueuil ou L’Assomption.
Selon Luc Noppen, une des dernières réalisations de Victor Bourgeau sera la conception, vers 1885, des plans du Collège canadien à Rome (Dictionnaire biographique du Canada, vol XI (de 1881 à 1890), Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1982, p. 102; Le Journal de Québec, 30 octobre 1885, p. 2); il est intéressant de noter que la biographie de Victor Bourgeau précède dans ce Dictionnaire celle de son mentor Ignace Bourget.
Bref, Victor Bourgeau, simple menuisier originaire de Lavaltrie et autodidacte génial devenu architecte, a joué un rôle déterminant dans l’évolution de l’architecture religieuse et conventuelle au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle à Montréal et dans les régions avoisinantes. Pendant environ quarante ans, il a participé à la conception, à l’agrandissement et à la décoration d’un grand nombre de cathédrales, d’églises, de chapelles, de presbytères et de couvents; il a dessiné de plus plusieurs chaires dans les églises. Il fut un architecte étonnamment prolifique, ce qui a pu expliquer le caractère parfois répétitif de ses constructions. Malgré les incendies, les démolitions ou encore la transformation à des fins civiles de certains immeubles religieux comme l’église Saint-Jacques démolie en 1975 (à l’exception du clocher et du transept sud) pour faire place à l’UQAM, les bâtiments de Victor Bourgeau sont encore là aujourd’hui pour nous rappeler qu’il a façonné une grande partie de notre patrimoine religieux. L’architecte Peter Lanken, qui a passé plus de 20 ans a étudié, a mesuré et a dessiné les œuvres de Bourgeau, considère qu’il était, à son époque, le seul véritable grand architecte dans toute l’Amérique du Nord. Il a voulu d’ailleurs lui rendre hommage en organisant, au mois d’avril 2019, une exposition de dessins et de photos à la Maison Hurtubise classée en 2004 site patrimonial dans la Ville de Westmount.
Victor Bourgeau n’a point laissé de postérité. Il a d’abord épousé à L’Assomption le 17 juin 1833 Edwidge Vaillant, fille de feu Joseph Vaillant et de Charlotte Leblanc (contrat de mariage devant le notaire J. A. Thérien). Edwidge Vaillant est née et baptisée à Saint-Jacques-l’Achigan le 3 octobre 1812 et décéda à Montréal le 27 février 1877 à l’âge de 65 ans. Dans son testament, en date du 25 novembre 1876 devant les notaires Louis Napoléon Dumouchel et Léonard Ovide Hétu, elle lègue tous ses biens à Victor Bourgeau « son époux bien aimé ». Les funérailles de cette dernière eurent lieu le 2 mars en l’église Notre-Dame et l’inhumation dans le cimetière Notre-Dame-des-Neiges. Victor Bourgeau demeurait à cette époque au 390 rue Dorchester. Devenu veuf, il se remaria à l’âge de 69 ans avec Delphine Viau, fille d’Augustin Viau et d’Anne Rose Black (dit Anne Mc Gahan) de la paroisse de Boucherville, le 4 mai 1878 à la Cathédrale Saint-Jacques le Majeur de Montréal (Marie-Reine-du-Monde). Delphine Viau, née le 17 février 1845 et baptisée le 18 février à Bourcherville, avait donc 33 ans au moment de son mariage. Ce deuxième mariage pour Bourgeau ne semble pas avoir été très heureux, peut-être en raison de l’écart d’âge entre les époux, et nous pouvons en trouver un indice dans son testament puisqu’il ne fait aucunement référence à sa deuxième épouse alors qu’il lègue certaines sommes d’argent à une sœur encore vivante de sa première femme et à un beau-frère de Chicago. De son premier mariage naquirent trois garçons dont deux moururent en bas âge. Nous retrouvons ainsi la naissance et le baptême de « Louis Roch Alfred » le 24 septembre 1835 à l’église Notre-Dame de Montréal. Il décéda le 29 octobre 1840 à l’âge de cinq ans et son acte de sépulture en date du 30 octobre se trouve à Notre-Dame de Montréal. Un deuxième fils, soit « David Trefflé Adolphe », né le 21 décembre 1837, est baptisé le 22 décembre à Notre-Dame de Montréal en présence de son père, menuisier, qu’on appelle « Victor Bourgeois » et qui déclare ne pas savoir signer. L’acte de sépulture de ce dernier enfant, décédé le 30 octobre 1840 à l’âge de trois ans, se touve dans les registres de l’église Notre-Dame à la date du 31 octobre 1840. Un autre fils a survécu plus longtemps. Il s’agit de « Victor Pierre Henry » né et baptisé le 19 juin 1834 à L’Assomption (Saint-Pierre-du-Portage). Victor Henri Bourgeau étudia le droit à l’École de droit fondée en 1851 par Maximilien Bibaud au Collège Sainte-Marie de Montréal et devint avocat en juillet 1857. Il va pratiquer sa profession à Montréal avec Cyrille Archambault pour former la société « Archambault & Bourgeau ». Il épousa le 10 janvier 1861, à Notre-Dame de Montréal, Louise Delphine Denyse Perrault, fille de Louis Perrault, imprimeur, et de Marguerite Roy, et décéda le 30 juillet 1865 à l’âge de 31 ans. Son acte de sépulture se trouve dans les registres de Notre-Dame de Montréal en date du 3 août 1865 et contient comme témoins les noms de personnages importants comme Antoine-Aimé Dorion et Louis-Antoine Dessaulles. Devenue veuve, l’épouse d’Henri Bourgeau va se remarier le 5 novembre 1866 à la Cathédrale de Montréal avec Jacques-Félix Sincennes, important homme d’affaires et veuf de Clothilde-Héloïse Douaire-Bondy (voir Dictionnaire Biographique du Canada, vol. X (de 1871 à 1880), p. 718).
Notons que Victor Bourgeau et sa première épouse ont élevé à partir de l’âge de 7 ou 8 ans sa filleule, Marie Edwidge Bourgeau, fille de son frère Antoine Bourgeau et de Sophie Beaudoin. Marie Edwidge, née et baptisée à Saint-Paul de Lavaltrie le 5 février 1835, est décédée à Montréal en 1923, à l’âge de 88 ans et 4 mois. Elle avait épousé, le 18 juin 1867 à Notre-Dame de Montréal, Louis Allard né le 30 août 1834 à Saint-Thomas de Pierreville (Yamaska), fils de François Allard et de Marie Jeannel. Louis Allard sera constructeur de bâtisses publiques et échevin de la Ville de Montréal; il est décédé le 22 juin 1903 et fut inhumé dans le cimetière Notre-Dame-des-Neiges le 25 juin 1903. Louis Allard et Edwidge Bourgeau auront deux filles. Lumina Allard va épouser à Saint-Jacques de Montréal le 21 février 1889 Ovila Lesieur-Desaulniers, fils de Léon Lesieur-Desaulniers, médecin et député à la Chambre des Communes. Ovila Desaulniers fut inhumé dans le cimetière Notre-Dame des Neiges le 15 août 1933 et son épouse Lumina le 30 juin 1965. Ajoutons que Laetitia Desaulniers, qui épousa le 28 septembre 1914 dans la paroisse Saint-Jean-Baptiste de Montréal Arthur Saint-Pierre (fils de Jean-Baptiste Saint-Pierre maire de Lavaltrie en 1910), était donc la petite-fille de Edwidge Bourgeau. Quant à l’autre fille de Louis Allard et d’Edwidge Bourgeau, soit Blanche Allard, elle va épouser à Saint-Jacques de Montréal le 16 octobre 1894 Georges Étienne Larin.
Sentant probablement sa santé déclinée, Victor Bourgeau fit son testament devant son ami le notaire Léonard Ovide Hétu le 8 janvier 1884 (acte portant le numéro 10771); toutefois, son décès ne devait survenir que quatre ans plus tard, soit le 1er mars 1888, à l’âge de 78 ans 4 mois et 6 jours, alors qu’il était encore en pleine activité. Il est décédé un jeudi après-midi à cinq heures dans le couvent des Sœurs Grises. Son cousin, l’abbé Florent Bourgeault a raconté dans La Minerve du 22 mars 1888 les derniers moments de Victor Bourgeau :
« Actif et infatigable, il devait mourir sans perdre de temps. Le 24 février il entrait au parloir du couvent des Sœurs Grises pour affaires de sa profession lorsqu’il s’affaissa pour ne plus se relever. Miné depuis plusieurs années par une maladie que son grand courage avait toujours dominé jusque-là et à laquelle était venue se joindre une inflammation des poumons, il expirait au bout de sept jours le 1er mars, dans une salle du couvent. »
Selon son avis de décès publié dans le journal La Minerve du 3 mars 1888, on mentionne que les funérailles auront lieu le 5 mars 1888 à 8 h 30. Le convoi funèbre partira de la demeure du défunt, au numéro 498 rue Dorchester, pour se rendre à l’église Notre-Dame. Le service funèbre fut célébré par son cousin, l’abbé Florent Bourgeault, curé de Laprairie. Ce dernier publia dans La Minerve du 22 mars 1888 un long texte sur la famille de Victor Bougeau. Ajoutons que le seul loisir connu de Victor Bourgeau, c’est qu’il aimait jouer du violon. D’ailleurs, au moment de son décès, il venait d’en acheter un autre au prix de 20 $ qui n’était pas encore payé lors de l’inventaire après décès dressé par le notaire Hétu le 1er juin 1888. Victor Bourgeau fut inhumé au cimetière Notre-Dame-des-Neiges dont il avait dessiné les portes en 1888. Son acte de sépulture se présente ainsi :
« Le cinq mars mil huit cen quatre-vingt-huit Nous, Prêtre soussigné, avons inhumé dans le Cimetière de la Paroisse le corps du Sieur Victor Bourgeau, architecte soixante-dix-huit ans, quatre mois et six jours, de cette paroisse.
Témoins : Sieur Adolphe Lévêque, architecte,
Sieur L. Michel Perrault, marchand et autres qui ont signé
A. Lévêque Ls H. Roy O. Leduc Louis Allard
A. Leprohon F. Tétreault L. M. Perrault H. Bourgeau
Frs Pominville Louis Lesage J. V. Bourgeau
A. Préfontaine
J.M.F.B. Brasseur ptre. »
En 1974, le caveau dans lequel son corps avait été placé fut malheureusement démoli en raison de son état de vétusté. Espérons que ce n’est pas le sort qui guette son héritage patrimonial. Aujourd’hui, un tout petit monument (section K, lot 29) indique le lieu de l’inhumation de celui qui a construit des cathédrales!
Dans son testament en date du 8 janvier 1884, rédigé par le notaire Hétu, il recommande d’abord son âme à Dieu. Puis il fait quelques legs particuliers à certains parents. Il donne ainsi à ses cousins de Lavaltrie, Louis et Victor Bourgeault, ses « hardes et linge de corps, chapeaux, casques et chaussures ». Comme Louis sera décédé lors de l’ouverture de la succession, c’est le cousin Victor qui va hériter de tous les vêtements. Victor Bourgeau lègue aussi à Alix Vaillant, sœur de sa première femme et veuve de feu Antoine Demers, une somme de 500 $. Il lègue à Charles Lemoine, de Chicago et veuf de Flavie Vaillant, une autre sœur de sa première épouse, une somme de 500 $. Il lègue à Denyse Perrault, de Montréal, veuve en premières noces de son fils Henry Bourgeau, une somme de 500 $. Il lègue à son frère Antoine Bourgeau qui vit aux États-Unis, une somme de 500 $. Puisque ce dernier va décéder avant Victor Bourgeau, c’est l’épouse d’Antoine, soit Sophie Beaudoin qui vit à Chigago, qui va hériter de la somme. Puis, Victor Bourgeau déclare dans son testament que le résidu de tous ses biens, meubles comme immeubles (mais la succession ne comprendra pas d’immeuble), seront attribués à titre de légataire universel à son cousin l’abbé Florent Bourgeault, curé de Laprairie, qui doit agir comme exécuteur testamentaire. De plus, le testament prévoit qu’une somme de 100 $ doit être déposée à la Banque d’Épargne de la cité et du district de Montréal pour servir à l’entretien de la voûte (caveau) que le testateur possède dans le Cimetière de la Côte-des-Neiges. Cela n’empêchera pas la démolition en 1974 de son caveau en raison de son manque d’entretien. Notons que le testament ne fait aucunement mention de sa deuxième épouse.
Bourgeau ne possédait plus d’immeubles au moment de son décès. Il en avait fait donation quelques années auparavant, en contrepartie de la constitution de rentes viagères en sa faveur, soit à l’Archevêché de Montréal, soit à son associé Étienne Alcibiade Leprohon, soit à sa fille adoptive Marie Edwidge Bourgeau, épouse de Louis Allard. Notons que la donation de l’immeuble, situé au coin des rues Dorchester et des Allemands, faite par Victor Bourgeau à Edwidge Vaillant, comprenait également un montant de 2 000 $ payable 6 mois après son décès à titre d’usufruit puisque cette dernière devrait éventuellement remettre cette somme à ses filles Lumina et Blanche Allard (Donation par Victor Bourgeau en faveur de Marie Edwidge Bougeau épouse de Louis Allard, 13 février 1880, no 9670, L. O. Hétu notaire). Toutefois, Victor Bourgeau décida, au même moment où il rédigea son testament le 8 janvier 1884, de remettre immédiatement la somme de 2 000 $ à sa filleule (Quittance par Dame Marie Edwidge Bourgeau épouse de Louis Allard Ecr en faveur de Victor Bourgeau Ecr, 8 janvier 1884, no 10773, L. O. Hétu notaire). Ajoutons que le 8 juillet 1880, Bourgeau avait cédé à son associé Etienne Alcibiade Leprohon tous les meubles de ménage et effets mobiliers qui se trouvaient dans sa résidence du 390 rue Dorchester pour la somme de 292 piastres, à l’exception de ceux garnissant la chambre à coucher de Madame Bourgeau (Vente mobilière par Victor Bourgeau à Étienne Alcibiade Leprohon, 8 juillet 1880, no 9835, L. O. Hétu notaire). On note dans la liste des objets ainsi cédés une bibliothèque contenant 75 volumes et plusieurs croquis de plans. Delphine Viau réussira à récupérer une grande partie des meubles dans l’accord d’arrangement conclu avec Leprohon après le décès de Bourgeau comme nous l’avons mentionné plus haut. On constate que Bourgeau pensait dès 1880 à sa retraite et voulait certainement réduire sa succession à son minimum et ne pas avantager plus qu’il le fallait sa deuxième épouse. Soulignons à cet égard que Bourgeau avait aussi, le 27 janvier 1879, donné aux Sœurs Grises une somme de 2 000 $ en contrepartie d’une rente viagère annuelle de 160 $ payable le 1er janvier de chaque année (greffe du notaire Eustache Prud’homme, no 2518). On a d’ailleurs mentionné que Bourgeau a passé les dernières années de sa vie surtout chez les Sœurs Grises.
Victor Bourgeau, n’ayant pas passé de contrat de mariage avec sa deuxième épouse, il était donc marié en communauté de biens. Il fallait donc faire le partage de cette communauté qui se composait principalement de sommes d’argent et de créances. C’est ainsi que le 1er juin 1888 le notaire Léonard Ovide Hétu procéda à l’Inventaire de la communauté de biens qui a existé entre feu Victor Bourgeau et Dame Delphine Viau son épouse (no 11908). Cet inventaire porta sur les biens meubles qui se trouvaient dans la résidence du défunt, soit au 498 rue Dorchester, à Montréal. Il restait peu d’effets meublants puisque Victor Bourgeau avait voulu les vendre à son associé Leprohon en 1880. Rappelons que la veuve va néanmoins réussir à en récupérer une grande partie dans l’accord d’arrangement avec Leprohon le 3 avril 1888. Le notaire Hétu mentionne donc que l’abbé Florent Bourgeault, légataire universel, a cédé à la veuve les meubles meublants qui restaient y compris un piano, mais en se réservant une montre en or évaluée à 50 $ et une petite boîte à argent. On apprend aussi de cet inventaire, que Victor Bourgeau possédait 878,95 $ à la Banque d’Épargne de la cité et du District de Montréal, succursale de la rue Sainte-Catherine. Plusieurs billets promissoires sont mentionnés représentant des montants pour une valeur totale de 18 500 $ dus à l’architecte par différentes communautés religieuses dont notamment 10 000 $ par les Sœurs de Charité de l’Hôpital général de Montréal (Sœurs Grises) et 500 $ dû par Hormisdas Bourque, un boucher de Montréal. Des arrérages sur les rentes viagères constituées en faveur de Victor Bourgeau sont également calculés dans l’Inventaire. On fait également référence à la société « Bourgeau et Préfontaine, architectes » dont les deux tiers des intérêts appartenaient à Bourgeau et l’autre tiers à Alfred Préfontaine. On fait alors mention des sommes dues à cette société pour la confection de différents plans (ex. : plan pour la chaire et le chœur de l’église Notre-Dame; plan pour l’Orphélinat catholique à Montréal; plan pour la barrière et la clôture du cimetière). Le notaire Hétu fait état d’une créance douteuse (sinon désespérée) qui résulte des arrérages de rente viagère d’un montant de 80 $ par année constituée sous seing privé, le 17 mars 1882, en faveur de Victor Bourgeau par son neveu Edward Bushroe (Bourgeau) qui vit dans le comté de Monroe dans l’État du Michigan. Il apparaît que ce neveu n’avait pas fait fortune aux États-Unis. Au chapitre des montants dus par Victor Bourgeau au moment de son décès, il y avait peu de choses : 10 $ à Charles Desjardins et Cie, chapelier à Montréal; 52 $ à Lorge et Cie, chapelier de Montréal; 20 $ à Lavigne et Lajoie, marchands de musique, pour un violon; 18 $ à la Fabrique Notre-Dame pour le loyer d’un banc dans l’église; et 12 $ à Desmarais et Cie photographe. En résumé, ses dettes concernaient l’achat de chapeaux hauts-de-forme qui le caractérisaient sur les chantiers de construction ainsi que son passe-temps à jouer du violon. Enfin, on apprend que le coût des funérailles de Bourgeau s’est élevé à 407,84 $, dont 84 $ à Victor Thériault, entrepreneur de pompes funèbres. Les frais de deuil de la veuve, Delphine Viau, ont été établis à 125 $, somme qui lui a été payée par l’abbé Florent Bourgeault. Après avoir réconcilié l’actif et le passif, il resta une somme de 17 052,56 $ à partager entre la veuve Delphine Viau et le légataire universel Florent Bourgeault. Chaque partie avait droit à une somme de 8 526, 28 $ mais l’abbé Florent Bourgeault devait cependant payer à partir de son héritage les legs particuliers mentionnés dans le testament (Compte et partage et quittance mutuelle entre le Révérend Messire Florent Bourgeault et Dame Delphine Viau, veuve de feu Victor Bourgeau écuier, 11 juin 1888, no 11912, L. O. Hétu notaire). La deuxième épouse de Victor Bourgeau lui survécut de nombreuses années puis qu’elle est décédée le 29 avril 1934 dans la région de Longueuil. Étonnamment, elle fut inhumée dans le terrain de son mari dans le cimetière Notre-Dame-des-Neiges seulement le 13 avril 1963. Elle était la dernière à être inhumée dans ce lot (concession K 00029). Cinq autres personnes, en plus de Bourgeau et de sa deuxième épouse, apparaissent comme étant inhumées au même endroit, soit des membres de la famille Viau et de la famille Leriger De La Plante.
Le 25 août 1950 fut inaugurée, en présence de Mgr Olivier Maurault, recteur de l’Université de Montréal, et du maire Camilien Houde, la « Place Victor-Bourgeau », soit le carré situé au coin des rues Sherbrooke et Valois en face du Cégep Maisonneuve. Une avenue Victor-Bourgeau rappelle aussi, à Lavaltrie, le souvenir de ce grand personnage originaire de cette ville. Des rues Victor-Bourgeau se retrouvent aussi dans plusieurs autres municipalités : L’Assomption, Boucherville, Varennes, Saint-Jean-sur-Richelieu. De plus, le cinéaste François Brault a réalisé avec Yvon Provost vers 1984 une série de douze documentaires sur le patrimoine religieux produits par l’Office national du film du Canada en collaboration avec la Société Radio-Canada; un de ces documentaires de 25 minutes 58 secondes porte sur Victor Bourgeau.
Mentionnons également que pour souligner le centenaire de la mort de Victor Bourgeau, une exposition fut tenue du 20 juin au 9 juillet 1988 dans la Chapelle des Cuthbert, à Berthierville, pour rappeler qu’il fut l’architecte dans la région de Lanaudière, notamment des églises : de la Visitation de l’Île du Pas (1851), de Saint-Félix-de-Valois (1854), de L’Épiphanie (1857, incendiée en 1885), de Saint-Julienne (1860, disparue), de Saint-Ambroise-de-Kildare (1861), de Saint-Joseph de Lanoraie (1862, disparue), de Saint-Alexis-de-Montcalm (1865), de Saint-Barthélemy (1866), de Lavaltrie (1869), de Saint-Cuthbert (1875), de Saint-Henri de Mascouche (1881). Non seulement Bourgeau a vu à la préparation des plans de ces églises, mais il s’est occupé aussi de leur ornementation, parfois avec l’aide de son cousin de Lavaltrie, le sculpteur Victor Bourgeault. Ajoutons que les architectes Victor Bourgeau et le sculpteur Louis-Xavier Leprohon, avec l’entrepreneur François Archambault, modifièrent en 1873-1874 les ouvertures de la façade de l’église de Saint-Sulpice qui date de 1832.
En terminant, et un peu en guise de bref résumé de la carrière d’architecte de Victor Bourgeau, reprenons la liste préparée par Peter Lanken portant sur les églises et autres bâtiments réalisés ou décorés selon les plans de Bourgeau. Cette liste n’est toutefois pas exhaustive puisqu’elle ne fait pas mention, par exemple, de sa collaboration à la construction de la Cathédrale Saint-Jacques-le-Majeur, devenue en 1955 la Basilique-Cathédrale Marie-Reine-du-Monde :
1850 Saint-Grégoire-le-Grand
1851 Saint-Pierre-Apôtre, Montréal
1851 Saint-Alexandre
1851 La-Visitation-de-l’Île-Dupas
1851 Sainte-Rose-de-Lima, Laval
1853 Saint-Benoît
1854 Saint-Barthélemy
1854 Saint-Félix-de-Valois
1854 Cathédrale de l’Assomption, Trois-Rivières
1854 Saint-Ambroise-de-Kildare
1855 Saint-Alexis-de-Montcalm
1855-80 Notre-Dame-de-Montréal (intérieur)
1856 Notre-Dame-de-Pitié, Montréal (démolie)
1857 Saint-Louis-de-Gonzague
1857 Saint-Vincent-de-Paul, Laval
1858 Notre-Dame-du-Rosaire, Saint-Hyacinthe
1859 Hôte-Dieu (hôpital et chapelle), Montréal
1860 Saint-Chrysostome
1860 Saint-Guillaume-d’Upton
1861 Saint-Joseph, Montréal
1861 Saint-Roch-sur-Richelieu
1861 Saint-Hugues (incendiée)
1862 Chapelle Sainte-Anne, Varennes
1862 Cathédrale Saint-Germain, Rimouski
1863 L’Assomption-de-la-Vierge-Marie
1863 Saint-Janvier
1863 Sainte-Brigide
1864 Saint-Sébastien
1864 Sainte-Rosalie
1865 Saint-Bernard-de-Lacolle
1865 Sainte-Marthe-de-Vaudreuil
1868 Sainte-Martine
1869 Sœurs Grises (Maison mère et chapelle), Montréal
1869 Saint-Antoine-de-Lavaltrie
1871 Chapelle du Précieux-Sang, Saint-Hyacinthe
1872 Sainte-Angèle-de-Monnoir
1873 Saint-Raphaël-de-l’Île-Bizard
1873 Saint-Joseph-de-la-Rivière-des-Prairies
1874 Saint-Zotique (incendiée)
1875 Saint-Ephrem-d’Upton
1875 Saint-Isidore-de-Laprairie
1879 Saint-Joseph-de-Soulanges
1881 Saint-Joseph-de-Chambly
1881 Saint-Henri-de-Mascouche
1882-84 Saint-Joachim-de-la-Pointe-Claire
En terminant, mentionnons que la Société d’histoire et du patrimoine de Lavaltrie a organisé, le dimanche 27 octobre 2019, une conférence sur « Victor Bourgeau (1809-1889) : l’homme et le constructeur d’églises ». Le président de la SHPL a traité de la famille Bourgau de Lavaltrie et de la vie de Victor Bourgeau alors que Peter Lanken, architecte de Montréal, a fait la présentation de l’œuvre exceptionnelle réalisée par Bourgeau. Cette conférence s’est tenue dans l’église de Lavaltrie qui, conçue selon les plans de Bourgeau, célébrait alors le 150e anniversaire de sa construction.
Bibliographie – Bibaud (jeune), Dictionnaire historique des hommes illustres du Canada et de l’Amérique, Montréal, Des Presses de P. Cérat, 1857, p. 56-57; Napoléaon BOURASSA, « Causeries artistiques », dans Revue canadienne, t. IV, Montréal, Sénécal, 1867, p. 795; Bourgeau, Victor, 1809-1888, Architecte et sculpteur, Document comprenant les fiches du ministère des Affaires culturelles, Québec, 116 p.; Bourgeau, Victor et Leprohon, architectes, Document comprenant les fiches du ministère des Affaires culturelles, Québec, 49 p.; « Bourgeau (Bourgeault), Victor», Dictionnaire biographique du Canada, vol. XI (de 1881 à 1890), Les Presses de l’Université Laval, 1982, p. 100; Agathe CHIASSON-LEBLANC, Les églises de la MRC de D’Autray. Municipalité régionale de comté de D’Autray, 2014, 78 p.; Contrecoeur 325, Comité organisateur des fêtes du 325e anniversaire de Contrecoeur, 1994, p. 34, 69, 105, 106, 108, 109; Florent BOURGEAULT, « Nécrologie, Victor Bourgeau, architecte », La Minerve, 22 mars 1888, p. 2; Claude FERLAND, Les presbytères anciens du Québec, Québec, Les Éditions GID, 2018, p. 38, 47, 51; Raymonde GAUTHIER, « Une pratique architecturale au XIXe siècle, Victor Bourgeau 1809-1888 », dans A. R. Q. Architecture Québec, février 1988, p. 10-23; Jean HÉTU, Le conseil municipal de Lavaltrie 1855-2014, Maires – Conseillers – Secrétaires-trésoriers, Montréal, Archiv-Histo, 2014, p. 20-21, 35; Jean HÉTU, Le Lavaltrie d’autrefois (1672-1972). Chronologie historique et photos anciennes, Montréal, Archiv-Histo Inc., 2016, p. 37-39. 133, 299; Serge JOYAL, « Les trésors des fabriques du diocèse de Joliette », dans Vie des arts, vol. XXIII, numéro 91, été 1978, p. 21-25; David KAREL, Dictionnaire des artistes de langue française en Amérique du Nord. Peintres, sculpteurs, dessinateurs, graveurs, photographes et orfèvres, Musée du Québec, Les Presses de l’Université Laval, 1992, p. 117; « Une pratique architecturale au XIXe siècle, Victor Bourgeau 1809-1888 » publié dans le numéro du mois février 1988 de la Revue de l’Ordre des architectes du Québec (A. R. Q. Architecture Québec, p. 10-23; Raymonde LANDRY-GAUTHIER, Victor Bourgeau et l’architecture religieuse et conventuelle dans le diocèse de Montréal (1821-1892), Thèse présentée à l’École des gradués de l’Université Laval pour l’obtention de grade de Philosophia Doctor (Ph. D.), février 1983, 429 p.; La Patrie, dimanche 7 mai 1950, p. 26; La Semaine religieuse de Montréal, t. 27, 1896, p. 243 ss., 286; Le Bazar, Organe Officiel de l’œuvre de la Cathédrale, Montréal, J. Chapleau & Fils, 1886, 392 p. [un journal comprenant 30 numéros reliés dans un seul livre, soit du No 1 samedi 7 août 1886 au No 30 du samedi 20 novembre 1886, avec un portrait de Victor Bourgeau]; Les clochers de Montréal et d’ailleurs 1953, La Société d’histoire montréalaise, 400 p.; Les couvents, Répertoire d’architecture traditionnelle sur le territoire de la Communauté urbaine de Montréal, Service de la planification du territoire de la Communauté urbaine de Montréal, 1984, 391 p.; Les églises, Répertoire d’architecture traditionnelle sur le territoire de la Communauté urbaine de Montréal, Service de la planification du territoire de la Communauté urbaine de Montréal, 1981, 490 p.; Olivier MAURAULT, La Paroisse. Histoire de l’église Notre-Dame de Montréal, Olivier MAURAULT, La Paroisse (histoire de l’église Notre-Dame de Montréal), Montréal, Thérien Frères Ltée, 1957, p. 63-91; Louis Carrier & Cie, Les Éditions du Mercure, Montréal et New-York, 1929, p. 105 (photo de Victor Bourgeau); Olivier MAURAULT, Marges d’histoire, vol. 1, Montréal, Librairie d’action canadienne-française, 1929, p. 98-99, 282, 284-285, vol. 2, p. 140-142, 164, 220-226, 238-239, 280-285; Olivier MAURAULT, Saint-Jacques de Montréal. L’église. La paroisse, Montréal, 1923, p. 53 (photo de Victor Bourgeau); Oliver MAURAULT, « L’architecte Victor Bourgeau », (1923) 29 B.R.H. 306-307; Gérard MORISSET, Coup d’œil sur les arts en Nouvelle-France, Québec, 1941, p. 18-19, 38, 42, 45-46; Gérard MORISSET, « L’architecte Victor Bourgeau », La Patrie, dimanche 7 mai 1950, p. 26; Gérard MORISSET, Les églises et le trésor de Varennes, Québec, MEDIUM, 1943, p. 23; Paroisse Sainte-Anne de Varennes 1692-1992, Album historique du tricentenaire de la paroisse Sainte-Anne de Varennes 1692-1992, 1991, p. 116 et 122; Jules ROMME, Saint-Isidore. Deux siècles d’histoire, 1983, p. 113-115; Claude SAUVAGEAU, Les belles églises de Lanaudière, 2015, 216 p.; Tricentenaire de Lavaltrie 1672-1972, Lavaltrie, 1972, p. 29-32; Émile VENNE, Causerie irradiée du poste CRCM, le 19 mars 1935, dans la série de la « Petite Hitoire », dirigée par Robert Choquette et publiée dans L’Ordre (de Montréal), les 22 et 23 mars suivants; « Victor Bourgeau 1809-1888 », A. R.Q. Architecture-Québec, La Revue des membres de l’Ordre des architectes du Québec, vol. 40, février1988.
Le 28 novembre 2019