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SEPTEMBRE 2020

LE CHARIVARI

     Pour la plupart d’entre nous, le mot charivari ne désigne plus guère aujourd’hui qu’un bruit flou, quelque chose comme les cris et les huées d’une foule en délire. Pour nos ancêtres, l’expression se doublait d’un autre sens. On faisait un charivari lorsque ceux qui s’épousaient n’invitaient pas le voisinage à une veillée de danse, ou bien lorsqu’un veuf ou une veuve épousait un célibataire ou se remariait trop vite après le décès de sa femme ou de son mari, ou encore si l’âge des époux était très inégal.

     Quand une nouvelle de la sorte se répandait, des bandes de jeunes gens et de jeunes filles s’amenaient en défilé jusque devant la maison des nouveaux mariés. Munis d’instruments hétéroclites : vieilles chaudières, trompettes d’étain, cornes de bélier, bombardes, violons, tambours, la joyeuse troupe menait un véritable tintamarre. L’assemblée réclamait le paiement d’une taxe. Et pour la circonstance, on avait composé des chansons qui ridiculisaient le nouveau couple.

Il fallait suivre la coutume

     Si la somme demandée n’était pas payée après cette première sommation, la pétarade se poursuivait jusque tard dans la soirée. Mais les assiégés n’en étaient pas quittes pour autant, car le manège se répétait le lendemain et les nuits suivantes, jusqu’au moment de la capitulation. Dans certains endroits, le siège durait neuf soirs. Si l’époux n’avait toujours pas payé, on fabriquait un bonhomme de paille à son effigie, et en défilé on allait l’enterrer ou encore le brûler sur un pont, avant d’en jeter la carcasse à l’eau.

     Comme on peut l’imaginer, il fallait des nerfs et des oreilles solides pour résister à un charivari. Le plus souvent, les manifestants avaient donc gain de cause très rapidement. L’époux entrebâillait la porte et devait subir les blagues, les chansons et une ovation bruyante. S’engageait alors la négociation. Car il fallait fixer le prix de la paix, et c’est le chef de la bande qui avait le dernier mot. Si le mari hésitait un peu, on lui rappelait volontiers la nature de l’enjeu en lui servant quelques mesures de tapage bien orchestré. Ordinairement, un charivari pouvait rapporter environ 5 dollars. Mais dans certains cas, et surtout si le siège s’était prolongé, la somme de 25, 50 ou même 75 dollars. Cet argent servait à acheter des sucreries, des boissons fortes pour les fêtards. Certains étaient plus astucieux que d’autres, et lorsqu’ils voyaient arriver la bande, ils invitaient les membres à boire un coup dans leur maison. Cette offre mettait fin au tapage, et le vin aidant, on avait droit à une joyeuse veillée.

     Le premier charivari de l’histoire de la Nouvelle-France eut lieu à Québec en 1683. Une veuve de vingt-cinq ans avait convolé trois semaines seulement après le décès de son premier mari. Le charivari qui s’organisa à cette occasion dura une semaine et eut une telle ampleur que l’évêque de Québec monseigneur de Saint-Vallier, dut intervenir en menaçant d’excommunication ceux qui continueraient à faire des charivaris.

     Le mandement de l’évêque porta fruit, et les charivaris disparurent un certain temps. Mais la coutume refit surface dans les campagnes puis s’étendit de nouveau à tout le territoire. Sauf que désormais, on essaya d’éviter « les désordres et les libertés scandaleuses » auxquels avait fait allusion monseigneur de Saint-Vallier.

Extrait de « Les coutumes de nos ancêtres », auteur Yvon Desautels,
autorisé par l’éditeur Éditions Paulines, 1984/médiaspaul www.mediaspaul.ca