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DÉCEMBRE 2020

LA PRIÈRE EN FAMILLE

     Habituellement, la journée de nos ancêtres ne se terminait pas sur le tard, surtout à l’automne et durant l’hiver, car la « noirceur » arrive très tôt à cette époque-là de l’année. S’il n’y avait pas de « veillée », il n’était pas rare que la maisonnée tout entière soit au lit vers neuf heures. Dans certaines familles, c’était même plus tôt.

     Avant que tout le monde ne se retire pour la nuit, un dernier événement réunissait grands et petits. Il s’agissait de la prière en famille. Cette pratique religieuse se déroulait généralement dans la cuisine. Jadis cette pièce de l’habitation québécoise jouait un rôle clef dans la vie familiale. Celle-ci était, peut-on dire, organisée tout autour du poêle. La cuisine était, en quelque sorte, le lieu de rassemblement préféré de tous. On s’y rencontrait pour les repas, pour les veillées, pour les visites; on y travaillait, on s’y amusait et évidemment on y accomplissait les dévotions quotidiennes.

     Parmi celles-ci, la prière en commun, surtout celle du soir, était bien ancrée dans les habitudes de nos aïeux. On y manquait rarement. Comme la messe du dimanche. Selon les familles, l’heure ou le contenu de la prière pouvait varier. Dans certains foyers, on récitait la prière peu de temps après « les grâces » qui clôturaient officiellement le souper. On avait à peine le temps de ramasser la vaisselle que le père indiquait par des toussotements que l’heure des dévotions avait sonné. Alors toute la famille se groupait au milieu de la pièce et s’agenouillait face à la croix noire de tempérance qui pendait souvent sur un des murs de la cuisine. Prenant un ton un peu solennel, l’aïeul commençait alors la prière.

     Celle-ci comportait en fait plusieurs prières qui pouvaient d’ailleurs varier selon les saisons, les circonstances particulières (décès, maladies, sécheresse, etc.) ou tout simplement les préférences de celui qui conduisait l’exercice de piété. Une session typique pouvait inclure la récitation du chapelet, des litanies, de tous les commandements, des divers actes (foi, espérance, charité), d’une bonne série d’invocations et finalement de prières particulières. On priait beaucoup chez nous et surtout longtemps.

     Dans d’autres familles, la prière en commun se récitait un peu plus tard dans la soirée. Il s’agissait vraiment du dernier acte de la journée. Après quoi le rideau tombait sur les activités de chacun.

     À plusieurs endroits, c’étaient les femmes qui assumaient l’initiative de ce qu’on pourrait presque appeler la liturgie familiale. Souvent plus pieuses que les hommes, elles avaient tendance à prolonger l’exercice pour y inclure toutes sortes d’intentions particulières.

L’une de nos plus belles traditions

     Exécutée dans les deux cas en fin de journée, la prière en famille donnait lieu occasionnellement à des scènes un peu cocasses qui témoignent bien de la faiblesse de la nature humaine. Et dans ce cas-ci, il faudrait peut-être surtout dire de la faiblesse des hommes.

     Au moment des grands travaux de la terre, labours, semences, moisson, il arrivait parfois qu’un des hommes de la maison, éreinté par une longue et harassante journée aux champs, s’endorme pendant la prière, allant même jusqu’à ronfler bruyamment. S’il s’agissait du père de la famille, l’embarras l’emportait sur tout le reste et on n’osait pas le réveiller. La mère haussait le ton pour couvrir la faiblesse de son compagnon et l’excusait un peu plus tard auprès des autres en rappelant l’ampleur des travaux en cours. Dans le cas des enfants, on ne se privait pas du bon coup de coude dans les côtes qui ramène instantanément sur terre l’âme la plus égarée.

     Une fois les dévotions terminées, personne ne se faisait tirer l’oreille pour aller se coucher car à cette époque-là, les journées commençaient avec le lever du soleil. Le père allait jeter un coup d’œil à l’attisée qui grésillait dans le poêle à deux ponts et, tout en retenant mal de grands bâillements, se retirait lui aussi pour la nuit. Ainsi s’achevaient jadis les journées au pays laurentien.

Extrait de « Les coutumes de nos ancêtres », auteur Yvon Desautels,
autorisé par l’éditeur Éditions Paulines, 1984/médiaspaul www.mediaspaul.ca