Mai 2023

LE COMPÉRAGE

     En vieux français, le mot compérage désignait autrefois tout simplement le baptême d’un enfant. Cet événement d’abord spirituel s’accompagnait aussi de toutes sortes de manifestations dont le but était d’annoncer publiquement cette heureuse nouvelle et d’exprimer la joie des parents et de leurs proches. Tel que sévèrement prescrit par les évêques du temps, le baptême du nouveau-né devait se célébrer sans faute le jour même de la naissance de l’enfant. Il fallait donc être prêt.

     Dans le dernier mois de la grossesse, les futurs parents terminaient les préparatifs. Ils s’entendaient sur le prénom de leur progéniture et choisissaient le parrain, la marraine et la porteuse.

     Comme il était d’usage, il s’agissait souvent d’un proche parent ou encore des premiers voisins. Dans le cas d’un premier enfant, il fallait également se procurer ou tout simplement fabriquer un berceau. De son côté, la mère mettait la dernière main au trousseau.

     Lorsque les signes avant-coureurs de l’accouchement se manifestaient, on avertissait aussitôt les voisines qui s’amenaient. Certaines se chargeaient de la besogne domestique tandis que d’autres voyaient aux préparatifs immédiats de l’accouchement sous la supervision de la sage-femme. À cette époque la naissance comme la mort se déroulait presque toujours dans la maison familiale. À cause de l’éloignement et de la lenteur des moyens de communication, il arrivait régulièrement qu’on ne pouvait pas rejoindre le médecin à temps. La sage-femme jouait donc un rôle très important car elle savait comment aider la maman à donner naissance à son enfant.

     Lorsque celui-ci voyait le jour, on s’empressait de lui faire une toilette et on allait le déposer dans un berceau qu’on installait pour la circonstance dans la grande chambre de la maison. Cette pièce joliment décorée était située au rez-de-chaussée de l’habitation. Généralement fermée, on l’ouvrait seulement lors d’événements importants : Jour de l’An, visite de monsieur le curé, naissance ou décès d’un membre de la famille. Très rapidement la nouvelle se répandait dans les alentours et le monde s’amenait pour voir le petit dernier.

Le « compère » et la « commère »

     Le temps de se pomponner et de se faire beau et le cortège officiel se mettait en branle pour le temple paroissial. Il se composait généralement du père de famille, de ses enfants en âge de venir à l’église, du parrain, de la marraine et de la porteuse. La maman se reposait à la maison. Chemin faisant, on s’arrêtait à gauche et à droite pour montrer le nouveau fils ou la nouvelle fille. Et chacun y allait de ses félicitations et de ses vœux les meilleurs. Le baptême proprement dit se célébrait dans le baptistère ou dans la sacristie de l’église. Le prêtre en surplis et en étole y accueillait le petit groupe puis s’acquittait méticuleusement du cérémonial qui prévoyait différents gestes comme le triple souffle pour chasser l’esprit impur, l’imposition des mains et également différentes onctions avec le sel, l’huile, l’eau. Le pasteur expliquait brièvement entre chaque geste ce qui se passait. Après avoir donné un prénom à l’enfant, signé les deux registres officiels (celui de l’église et celui de l’état), allumé les lampions d’usage et même fait une petite obole au tronc de la Sainte-Vierge ou de Saint-Joseph, le groupe se retirait. À la sortie, le parrain avait pris la précaution de faire sonner et à toute volée les cloches afin de signaler l’arrivée d’un nouveau chrétien dans la paroisse.

     Et le cortège retournait à la maison des parents. Mais le retour, comme l’aller d’ailleurs, durait une éternité. Et peut-être même un peu plus. Dans son livre « Forestiers et voyageurs », l’écrivain J.-C Taché raconte qu’un groupe avait effectué tellement d’arrêts au retour d’un compérage qu’ils arrivèrent à la maison un peu ronds. À la stupeur de la mère, on s’aperçut alors que la porteuse avait les bras vides. La pauvre avait déposé l’enfant sur un banc de neige pour un instant et l’avait oublié là.

     On organisa une battue sur le champ et on retrouva promptement l’enfant qui, dit-on, vécut jusqu’à 80 ans. Au domicile des parents, suivait un véritable festin où tout le monde était invité. Ainsi en était-il des compérages autrefois !

Extrait de « Les coutumes de nos ancêtres », auteur Yvon Desautels,
autorisé par l’éditeur Éditions Paulines, 1984/médiaspaul