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MARS 2021

LA FABRICATION DU SAVON

     Avec la disparition progressive du froid, les restants de graissaille (pâtés, lard fumé, saindoux salé), que la ménagère avait diligemment mis de côté tout au long de l’hiver, commençaient à dégeler et à dégager une odeur un peu désagréable. Il n’en fallait pas plus pour entreprendre la corvée annuelle de la fabrication du savon.

La femme de l’habitant s’en chargeait

     Un beau matin de printemps, la femme de l’habitant se rendait au caveau, ramassait tous les restes de gras qui s’y trouvaient et les déposait dans un large chaudron de fonte noir.

     Elle avait d’abord allumé une imposante attisée de bois franc dans la cheminée du fournil (bâtiment qui servait à accomplir des travaux domestiques) ou encore tout simplement en plein air, dans la cour de la ferme. Sans perdre de temps, elle amenait, avec un peu d’aide, le grand chaudron près du feu et le déposait en plein milieu des flammes. Une fois en place, il était rempli d’eau jusqu’à ras bord.

     Cette première manœuvre avait pour but d’extraire le gras des restes de table. Portée à ébullition, l’eau servait à séparer les deux. Après filtration, les résidus étaient recyclés. En effet, on les utilisait comme engrais dans le potager. La matière grasse, quant à elle, constituait un élément de base pour la prochaine étape.

     Le lendemain, de très bonne heure, la ménagère retroussait de nouveau ses manches et se remettait au travail. La phase suivante, soit la fabrication du savon, exigeait plus de précision et de doigté. En fait, il s’agissait ni plus ni moins de réussir une recette de cuisine avec ses ingrédients et son mode de préparation.

     Dans ce cas-ci, les ingrédients nécessaires étaient le gras qu’on avait obtenu la journée précédente, de l’eau, de la résine, du sel et finalement du lessi. Ce dernier, un liquide alcalin (contraire de l’acide), s’obtenait en répandant de l’eau chaude sur de la cendre de bois. Cette action permettait de libérer la soude contenue dans le bois. C’est ce produit qui rend possible la lessive.

     Après avoir nettoyé avec soin le grand chaudron de fonte, notre ménagère faisait bouillir de l’eau puis y versait, dans l’ordre suivant, le lessi, la résine et finalement le gras. Le tout devait bouillir 45 minutes. Pendant ce temps, elle devait brasser sans arrêt, car le mélange pouvait gonfler et renverser. Pour éviter cela, elle y répandait un peu de neige à l’occasion, ce qui stabilisait le contenu du chaudron.

     Vers la fin de la cuisson, elle incorporait au mélange, par petites poignées, la quantité voulue de sel dont le rôle consistait à lier tous les autres ingrédients pour arriver à une consistance solide.

     À partir de cette étape, la ménagère devait être aux aguets et surveiller les signes avant-coureurs de l’épaississement imminent du mélange. Lorsque ceux-ci se manifestaient, elle enlevait avec précaution le grand chaudron du feu et le laissait refroidir durant à peu près une journée.

     Il ne restait plus qu’à couper en petits blocs la pâte dure et jaune clair qui s’était formée dans le récipient. On entreposait ensuite la réserve de savon dans des contenants de métal pour éviter que les petits rongeurs (souris, mulots) ne viennent y faire des ravages. Ces contenants étaient ultérieurement rangés au grenier.

Extrait de « Les coutumes de nos ancêtres », auteur Yvon Desautels,
autorisé par l’éditeur Éditions Paulines, 1984/médiaspaul www.mediaspaul.ca.