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FÉVRIER 2021

LA DONATION

     À un certain moment durant la cinquantaine, l’habitant posait le premier jalon de sa retraite. Par un acte notarié qu’on appelait à certains endroits la donation et ailleurs la donaison, il cédait sa terre, sa maison et une grande partie de ses biens à un de ses fils, l’aîné d’habitude.

     En retour, il obtenait pour lui-même et sa femme le gîte, le couvert et d’autres avantages qui variaient selon les couples. À cette époque, il n’existait pas de foyer d’hébergement pour gens âgés. En cédant ainsi leurs biens de leur vivant, ils s’assuraient d’un endroit où passer leurs vieux jours. Avant d’arriver à cette décision, l’habitant et sa femme s’entretenaient longuement de cette affaire ensemble. Chacun faisait valoir son point de vue, ses raisons, ses objections. Parfois même le couple sentait le besoin de consulter des amis ou monsieur le curé.

     Après avoir longtemps « jonglé à leur affaire » comme on disait, les parents annonçaient leur décision à leur fils. Pour ce faire, ils choisissaient une journée où la maison était vide. Selon la tradition, c’est le père qui amenait le sujet sur la table. Toujours un peu ému, il expliquait que lui et sa femme ne se faisaient plus jeunes et qu’ils avaient conçu des projets qui l’avantageraient. L’habitant exposait alors à son fils les conditions de l’entente qu’il aimerait conclure. Honoré et certes un peu intimidé, le fils écoutait respectueusement. Généralement, la réponse ne tardait pas à venir. L’offre était acceptée sur le champ car elle représentait une forme d’héritage instantanée qui ne laissait personne indifférent.

Premier pas vers la retraite

     La proposition comportait des obligations. Celles-ci d’ailleurs beaucoup plus onéreuses qu’on serait porté à le croire. Le fils en question était généralement tenu, par cette entente, d’assurer la subsistance de ses parents jusqu’à leur décès. Comme, à cette époque, beaucoup de gens passaient facilement le cap des 80 et 90 ans, cela représentait dans certains cas un effort d’une trentaine d’années.

     Assurer la subsistance de ses parents, cela voulait dire leur fournir un logis adéquat de même que toute la nourriture nécessaire. À ces deux grandes obligations de base, se greffaient toutes sortes de conditions particulières au gré des parties. Voici un exemple de donation « pure, simple et irrévocable » d’une terre avec maison en pierre, grange, écurie et autres bâtisses pour les articles de rente et pensions viagères suivantes : 600 livres en argent, 24 minots de blé, de froment, d’avoine, d’orge, 12 minots de pois, 200 bottes de foin, 15 cordes de bois d’érable, livrées à la porte du donataire, sciées et fendues, 12 douzaines d’œufs, 12 livres de son tabac, une vache laitière, 4 mères moutonnes et un bélier, un cochon gras, 2 valtes de rhum, 3 gallons de bon vin blanc. Une fois que le fils avait pris connaissance des conditions, qu’il en avait discuté avec ses parents, on fixait un rendez-vous chez le notaire pour aller passer l’acte officiel de donation. Comme cet arrangement intéressait toute la famille, tous ceux qui étaient libres ce jour-là s’amenaient chez le notaire. On invitait également quelques parents, quelques voisins ou encore quelques amis intimes de la famille.

     Quand toute la délégation avait pris place dans l’étude du notaire, celui-ci sortait, avec un air un peu cérémonieux, quelques feuilles d’un beau papier et sa plume qu’il taillait soigneusement.

     Sans se presser et en prenant bien soin de faire répéter ses interlocuteurs, le notaire écrivait tout au long les conditions de l’entente. Parfois, le père ou le fils ou même les deux sollicitaient l’avis de l’homme de loi.

     Une fois achevée la rédaction de l’entente, le notaire relisait le document. Lorsque le document faisait le bonheur de tout le monde, il invitait alors les intéressés à y apposer leur signature ou encore à y tracer leur croix lorsqu’ils ne savaient pas écrire. À ce moment, l’homme de loi se levait, offrait ses meilleurs vœux à tout le monde. On payait le coût de l’acte et toute la troupe se mettait en route vers l’habitation familiale où se déroulait une petite sauterie pour célébrer l’événement.

     Au début, la donation ne changeait pas grand-chose dans la routine familiale. Sauf s’il était malade, le père continuait d’assurer la direction des affaires de la ferme tandis que sa femme gardait la haute main dans les secteurs qui relevaient d’elle. Mais le transfert s’était amorcé et se faisait graduellement dans les mois et les années qui suivaient.

Extrait de « Les coutumes de nos ancêtres », auteur Yvon Desautels,
autorisé par l’éditeur Éditions Paulines, 1984/médiaspaul www.mediaspaul.ca.