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NOVEMBRE 2020

LES CHANTIERS

     Les chantiers étaient évidemment une affaire d’hommes. Et surtout d’hommes à la santé de fer, aux muscles bien développés, et pas trop exigeants quant aux conditions de vie. C’est pourquoi on recrutait pour ce travail plusieurs jeunes gens. D’ailleurs, dès que leurs fils atteignaient seize ans, beaucoup de pères étaient heureux et fiers de les initier à la vie des n’étaient guère plus reluisantes. Chaque groupe de bûcherons habitait pour toute chantiers. Cela marquait en quelque sorte leur passage du monde des enfants au monde des adultes.

     Paqueton au dos et raquettes sous le bras, ces « voyageurs » se mettaient en route vers la fin du mois d’octobre. Leur séjour en forêt durait de cinq à six mois. Après avoir signé leur contrat d’engagement, ils se rendaient au lieu de rassemblement. Là, on formait les « gangs » (groupe) et on assignait les destinations. Sous la direction d’un « foreman » (contremaître), les petits groupes se dispersaient. Une partie du voyage s’effectuait en barouche, sorte de chariot très sommaire. Au bout de la route carrossable, tout le monde descendait, et le reste du trajet se faisait à pied. On pouvait parfois marcher ainsi une vingtaine de kilomètres avant d’arriver à l’endroit prévu.

Séjour en forêt

     Pour les plus jeunes, la grande aventure commençait : ils allaient voir du pays, connaître du « nouveau monde » et vivre des expériences différentes. Certains, d’ailleurs, prenaient tellement goût aux chantiers qu’ils y revenaient toute leur vie. Pour d’autres, c’était d’abord et avant tout un moyen de se constituer un bon « gagné » pour fonder une famille ou, si c’était déjà fait, pour améliorer les finances. Les « gages » payés par les compagnies en valaient la peine. De 12 ou 14 dollars qu’ils étaient vers 1885, les salaires pouvaient varier entre 75 et 125 dollars (logement et nourriture fournis) vers 1920. C’était de la « grosse argent » à cette époque-là.

     Si les salaires s’avéraient intéressants, le travail de chantier, par contre, ne s’apparentait guère à une sinécure. Loin de là ! Du petit matin jusqu’à la tombée de la nuit, on trimait dur.

     Le groupe se divisait en petites équipes de trois hommes : deux bûcherons et un charretier. Chaque jour, l’équipe devait abattre un certain nombre d’arbres, les ébrancher et les scier afin de pouvoir livrer à l’employeur cinquante billots de 3,60 m. Avant de commencer le travail, il fallait évidemment se rendre sur le site de l’abattage, et pour cela, marcher très régulièrement 1 ou 2 km. La distance ne permettait pas de revenir pour le repas du midi. On le prenait sur l’ouvrage, s’arrêtant quelques minutes pour engouffrer un léger goûter.

     Les conditions de vie (hébergement, nourriture, loisirs), la durée de la saison « le campe » (hutte) de bois rond dont les dimensions étaient de l’ordre d’à peu près 9 m sur 12 m. Percée d’une porte et d’une petite fenêtre sur le devant et d’une autre à l’arrière, l’habitation comportait un mobilier très réduit. Alignés le long des murs de gauche à droite, les lits à trois étages en occupaient une grande partie. Vers le fond de la pièce, se dressait la « cambuse ». En langage de bûcheron, cela désignait le foyer de pierre aménagé à même le plancher et qui servait aussi bien à cuire les aliments qu’à chauffer la hutte. Pas de table, pas de chaise, pas de lavabo ni de cabinet d’aisance. Pour manger, on s’assoyait sur les lits et on posait son plat sur ses genoux. Pour dormir, il fallait accepter de partager sa paillasse avec un autre. Quant à la toilette générale, disons qu’elle était plutôt rudimentaire. Mais lorsque la vermine donnait signe de vie, on faisait bouillir les vêtements de tout le monde dans un grand chaudron.

     La nourriture avait la désagréable caractéristique d’être très monotone, Perdu au fons des bois, rationné par les employeurs, le « cook » (cuisinier) avait en quelque sorte les mains liées. Ainsi, pendant six mois, matin, midi et soir, on mangeait du pain, de la soupe aux pois, du lard salé et des fèves.

     Heureusement que la veillée du samedi soir venait rompre la rigueur et la routine de la vie de chantier! Par exception, ce soir-là, les hommes ne se couchaient pas à neuf heures. Ne travaillant pas le lendemain, ils s’en donnaient à cœur joie. Une fois le souper terminé, les chansons, les histoires, les gigues et les jeux de force remplaçaient, à la satisfaction de tous, le bruit des haches et des godendards.

Extrait de « Les coutumes de nos ancêtres », auteur Yvon Desautels,
autorisé par l’éditeur Éditions Paulines, 1984/médiaspaul www.mediaspaul.ca