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OCTOBRE 2020

LA CRIÉE

     Autrefois dans nos campagnes, l’église paroissiale rassemblait, tous les dimanches et jours de fête, la plupart des habitants du village, des rangs et des concessions. Avant et après la grand-messe, la foule s’attardait sur le perron ou sur la place de l’église.

     Les retrouvailles hebdomadaires donnaient l’occasion à tout le monde de jaser avec les amis, de s’enquérir de la santé des uns, des travaux des autres, et ce dans une atmosphère de joyeuse cordialité. L’événement se prêtait également bien à la proclamation d’avis de toutes sortes de la part des autorités civiles et religieuses. Ainsi, il n’était pas rare de trouver toute une batterie d’affiches officielles placardées sur un babillard géant près de l’entrée principale de l’église. À plusieurs endroits, on avait recours à une pratique beaucoup plus pittoresque et colorée pour diffuser annonces et avis. On les faisait littéralement crier par un homme fort en voix, et que l’on appelait le crieur public. C’est ce que les anciens entendaient par « criée du dimanche matin ».

     La séance d’information se déroulait d’ordinaire assez rapidement sauf en novembre où elle prenait un sens spécial. Elle devenait la « criée pour les âmes ». Elle se transformait en une vente aux enchères dont les fruits servaient à faire chanter des messes tout au long du mois de novembre pour les défunts de la paroisse.

     Cette coutume avait beaucoup la faveur des paysans français pour qui les âmes du purgatoire, celles qui avaient encore quelques péchés à expier avant d’entrer au ciel, faisaient l’objet d’une attention toute particulière. Car, dans leur esprit, ces âmes étaient souvent celles des derniers disparus, c’est-à-dire des gens qu’ils avaient bien connus, d’où la grande sollicitude dont ils faisaient preuve. La coutume remonterait d’ailleurs beaucoup plus loin. En effet, aux temps bibliques chez les Hébreux par exemple, on avait l’habitude d’offrir fruits et animaux en sacrifice aux mânes des défunts.

Criée pour les âmes

     Le jour de « la criée pour les âmes », nos anciens descendaient à l’église emportant avec eux les offrandes qu’ils avaient promis d’offrir pour les disparus. Une fois la messe terminée, il fallait voir s’accumuler sur la tribune du crieur les nombreux objets destinés aux enchères. On y trouvait beaucoup de légumes et de fruits : des citrouilles, des navets, des tresses d’oignons, des pommes de chou. Toujours les plus beaux de la récolte. Également un grand nombre de produits domestiques comme l’étoffe du pays, des rouleaux de laine, des couvre-pieds, des pots de confiture, du miel, de la tête en fromage, du sirop d’érable, du tabac en tresse. Finalement, quelques animaux de la ferme comme  poules, dindons, lapins, cochons venaient ajouter une note sonore à ce décor déjà très bigarré.

     Sans trop attendre, le crieur brisait la glace et lançait la première mise aux enchères. Pour ce faire, il avait choisi, en fin psychologue, un objet « pas piqué des vers » dont il commençait d’abord par vanter avec brio toutes les qualités. Chaque fois, il rappelait aux paroissiens leur devoir envers les âmes du purgatoire et si cela pouvait être utile il n’hésitait pas à rappeler à la mémoire de l’auditoire le souvenir d’un concitoyen disparu depuis peu.

     Les habitants ne se faisaient pas tirer l’oreille longtemps et la danse des offres démarrait sans tenir compte de la valeur réelle des objets. C’était d’abord et avant tout affaire de générosité.

     Lorsque le crieur avait ainsi liquidé toutes les pièces de son grand bazar, il s’empressait d’aller remettre au curé de la paroisse le montant recueilli. Il s’agissait du « trésor des âmes ». Tout au long du mois et de l’année, ces fonds auxquels des offrandes particulières venaient s’ajouter, allaient servir à faire chanter une multitude de messes à l’intention de « ces chers disparus » comme on les appelait.

Extrait de « Les coutumes de nos ancêtres », auteur Yvon Desautels,
autorisé par l’éditeur Éditions Paulines, 1984/médiaspaul www.mediaspaul.ca