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MARS 2020

LE TEMPS DES SUCRES

 

     La récolte de la sève d’érable est certainement une des plus vieilles traditions de notre pays. Les Amérindiens pratiquaient déjà cette activité avant l’arrivée des Européens dans la vallée du Saint-Laurent. Et ce sont eux qui leur en apprirent les rudiments. En 1704, un voyageur en Nouvelle-France note que « la sève admirable des érables est telle qu’il n’y a point de limonade, d’eau de cerise qui ait si bon goût, ni breuvage au monde qui soit plus salutaire ». Vers cette époque, on rapporte que madame de Repentigny produisait alors plus de 30 000 livres de sucre dans l’île de Montréal (environ 15 000 kg).

     Le « temps des sucres » variait selon les années et aussi selon les régions. Mais, d’une façon générale, il avait lieu durant les mois de mars et d’avril, au gré d’abord et avant tout de la température. On en récoltait beaucoup ou très peu selon qu’on obtenait l’alternance de gel et de dégel. La saison pouvait ainsi durer 8 jours ou parfois presque un mois.

     Lorsque donc les « premiers soleils » réveillaient la sève des érables, tous les membres de la famille au grand complet se mettaient à l’œuvre. Le travail était urgent, car la sève n’attend pas. On ramassait alors le matériel – auges, seaux, goudilles, chaudrons, tonneaux – et on montait à l’érablière.

Période de travail intense

     Le travail consistait d’abord à entailler les troncs au moyen d’une vrille, à la hauteur de trois pieds environ. Puis on y introduisait soit une lame de couteau, un morceau de bois taillé ou encore, un peu plus tard, un chalumeau sous lequel on installait un seau. Comme dans une seule journée, un arbre pouvait remplir 20 ou 25 de ces seaux, il fallait ensuite passer régulièrement au fil des heures pour recueillir la sève et la ramener à la cabane à sucre. Si on tient compte du fait qu’une petite érablière pouvait compter entre 300 et 400 arbres et les plus grosses, quelques milliers, on devine aisément l’ampleur de l’opération. La cueillette s’effectuait à l’aide d’un traîneau surmonté d’un grand tonneau de bois et qu’on conduisait sur une trace préparée d’avance. La tournée terminée, on revenait à la cabane à sucre et on transvidait la sève dans de grandes chaudières sous lesquelles frétillaient de gros feux de bois qu’on devait entretenir constamment. L’eau, en bouillant, se transformait d’abord en sirop, puis en tire, puis en sucre. Celui-ci était par la suite déposé dans des jattes de bois où il durcissait en forme de pain rond. Ce « sucre du pays », de même que les réserves de sirop d’érable qu’on ne manquait de constituer, faisaient partie intégrante de l’alimentation familiale tout au long de l’année.

     La cabane à sucre du temps jadis ne ressemblait pas à celles qu’on connaît aujourd’hui. Il s’agissait plutôt d’un abri très modeste, souvent ouvert sur les côtés. Quand on montait à l’érablière pour « bouillir », on y passait toute la journée. Il n’était pas question de laisser le travail pour aller casser la croûte. On mangeait sur place. Certains s’y installaient même pour la durée des sucres.

     Comme nous l’avons déjà mentionné, le travail des sucres requérait la présence de tous les membres de la famille. Mais se joignaient bien volontiers à eux les amis, les villageois, les résidents des autres rangs, et souvent la parenté de la ville.

     Comme on peut le soupçonner, ces corvées tournaient assez rapidement en partie de plaisir où, entre quelques chansons, on se remplissait l’estomac de trouvailles gastronomiques assez surprenantes : jambon, crêpes, lard, œufs au sirop, sans parler des « oreilles-de-christ » ou des délicieux « grands-pères ».

Extrait de « Les coutumes de nos ancêtres », auteur Yvon Desautels,
autorisé par l’éditeur Éditions Paulines, 1984/médiaspaul