DÉCEMBRE 2019
LE TEMPS DES BOUCHERIES
Rigoureux et surtout très long, l’hiver laurentien imposait toutes sortes de contraintes à nos ancêtres. En vue de la saison froide, il fallait par exemple renchausser la maison, préparer d’énormes quantités de bois de chauffage et, évidemment, accumuler de grandes réserves de provisions alimentaires.
Ces provisions d’ailleurs devaient s’adapter à la nature de la saison qui venait. Alors qu’en été, les légumes, les fruits, les œufs prédominaient dans l’alimentation, en hiver, les graisses et les viandes réapparaissaient et occupaient le premier rang.
Aux alentours de la fête de l’Immaculée-Conception (le 8 décembre), débutait dans toutes les fermes du Québec « le temps des boucheries ». Il s’agissait du moment de l’année où l’on procédait à l’abattage des bestiaux.
Nécessité fait loi
Le choix de la date des boucheries dépendait de deux facteurs. D’abord, le climat. On attendait que « les froids soient pris pour de bon » car, une fois dépecés, les quartiers de viande devaient être congelés si on voulait les conserver. On tenait compte également des projets des voisins. En effet, peu de familles pouvaient s’acquitter de cette besogne sans un peu d’aide. Donc, on se consultait sur les dates afin de pouvoir s’aider mutuellement et échanger, comme c’était l’usage, « les morceaux du voisin » : une ou deux belles pièces de viande qu’on offrait en guise de remerciements pour l’assistance obtenue.
Les boucheries se divisaient en deux étapes qu’on menait d’ailleurs pratiquement de front. Un premier groupe, installé dans un bâtiment de la ferme, procédait à l’abattage des différents animaux. À certains endroits, on commençait par les volailles, puis on passait aux porcs et finalement aux bestiaux plus imposants comme les vaches et les boeufs. Une fois abattu, chaque animal était dépecé selon les règles bien précises qui permettaient d’en distinguer les différentes parties. Certaines étaient bien enveloppées et entreposées dans la cuisine d’été, cette petite pièce attenante au corps principal du logis. N’étant ni isolée ni chauffée, elle constituait un garde-manger idéal en hiver.
Pendant ce temps, un deuxième groupe travaillait ferme autour du grand poêle de fonte de la cuisine. C’est là en effet qu’on transportait les autres pièces de viande. Les mains laborieuses des cordons bleus les transformaient en une gamme affriolante de plats que l’on pouvait conserver au froid pendant plusieurs semaines. Boudins, saucisses, cretons, palerons, pâtés de tête, crépinettes, platines, tourtières, ragoûts de pattes, tête en fromage, six-pâtes, tortasseries se succédaient sur le grand poêle à bois. Évidemment, ces olympiques culinaires exigeaient du temps. De trois jours à une semaine parfois. Mais l’effort en valait la peine.
On préparait également à cette occasion de grandes provisions de lard et de graisse. Ces « graissailles », comme on les nommait parfois, étaient également mises de côté et utilisées tout au long de l’hiver.
Une partie de ce gras d’animal servait de plus à fabriquer deux autres produits : les chandelles nécessaires à l’éclairage de l’habitation et le fameux savon du pays.
Si finalement on avait des provisions en excès, on allait en vendre une partie au marché et ainsi se faire « un gagné d’hiver ».
Extrait de « Les coutumes de nos ancêtres », auteur Yvon Desautels,
autorisé par l’éditeur Éditions Paulines, 1984/médiaspaul