Mai 2019
LA FÊTE DU MAI
Cette coutume, transportée ici par nos ancêtres français, commença à se développer vers 1675, lorsque le gouverneur Frontenac décida d’organiser la défense de la colonie. Pour chaque regroupement d’habitations ou paroisse, il désigna un capitaine de la milice qui devait coordonner la défense des citoyens. Avec le temps, ce capitaine devint le personnage le plus important après le curé et le seigneur. Imitant ce qui se faisait en France, on soulignait le caractère spécial de sa fonction en plantant un mât avec décorum, devant sa maison, le premier mai de chaque année.
Cette célébration à saveur militaire se pratiqua encore quelques décennies après la conquête de 1760. Au lieu d’honorer le capitaine de la milice, c’est au seigneur qu’on rendait l’hommage de planter le mai chaque année.
La fête débutait de très bonne heure par l’arrivée des censitaires devant le manoir seigneurial. Rapidement, on se partageait les tâches. Certains creusaient la fosse dans laquelle serait planté l’arbre ou encore taillaient les coins pour le consolider. D’autres s’occupaient à préparer l’arbre lui-même. La coutume voulait qu’on le dégarnisse de toutes ses branches, sauf pour une section de trois pieds (le bouquet) à la cime, qu’on conservait. À cette partie de l’arbre on clouait un bâton de deux mètres peint en rouge, surmonté d’une girouette verte, elle-même ornée d’une grosse boule reprenant la couleur du bâton.
Une fois ces préparatifs accomplis, un homme tirait un coup de fusil à la porte principale du manoir, indiquant ainsi que tout était prêt. Le seigneur, qui par étiquette ne s’était pas montré jusqu’à ce moment-là, recevait deux émissaires du groupe qui demandaient la permission de planter le mai devant sa porte. Ayant obtenu son assentiment, les deux envoyés revenaient vers le groupe pour annoncer la bonne nouvelle. Après une prière d’usage, les hommes retroussaient leurs manches, et lentement le mai s’élevait au-dessus de la foule.
Hommage rendu à un seigneur
Un deuxième coup de feu annonçait la réussite de l’entreprise. À ce signal, deux des principaux habitants retournaient voir le seigneur. Ils portaient un fusil de même qu’une assiette garnie d’une bouteille d’eau-de-vie et d’un verre. On invitait alors le seigneur à arroser le mai avant de le noircir d’un coup de fusil.
Après les toasts appropriés, le seigneur s’amenait sur le seuil de la porte du manoir. Aussitôt, un jeune homme grimpait jusqu’au sommet de l’arbre et faisait tourner la girouette en criant : « Vive le roi et vive notre seigneur! ». En descendant, il coupait tous les coins et jalons du mai.
À ce moment précis, le seigneur déchargeait son fusil sur l’arbre. Puis c’était au tour de tous les membres de sa famille. Immédiatement après, la foule s’en donnait à coeur joie pour au moins une bonne demi-heure. Le mai si blanc au début virait au noir. Plus on tirait de coups, plus le compliment était considéré flatteur pour celui à qui le mai était présenté.
Lorsque la fusillade se calmait, le seigneur invitait l’assistance à casser la croûte. Ce qui était accueilli avec beaucoup d’enthousiasme. Les tables dressées dans le manoir présentaient une généreuse diversité de plats, tous plus affriolants les uns que les autres. Pour boire, on servait évidemment une excellente eau-de-vie, que les hommes préféraient au vin, car elle grattait davantage le gosier. Durant toute la durée des agapes, les convives se levaient souvent et allaient tirer un coup de feu sur le mai, toujours en guise de courtoisie envers leur hôte.
Comme d’habitude en pareille circonstance, chacun chantait sa petite chanson. Entre les couplets, on buvait à la santé de tous et chacun. Le reste de la journée se passait ainsi à s’amuser et à danser joyeusement, au grand plaisir du seigneur et de sa famille.
Au cours du XIXe siècle, cette coutume s’est évanouie dans le temps. Et bien rares sont ceux qui, aujourd’hui, s’en souviennent encore…
Extrait de « Les coutumes de nos ancêtres », auteur Yvon Desautels,
autorisé par l’éditeur Éditions Paulines, 1984/médiaspaul