Octobre 2018
LE BRAYAGE DU LIN
Pour transformer la tige du lin en un beau fil brun crème, il fallait s’acquitter de plusieurs opérations. Comme pour beaucoup d’autres tâches saisonnières, nos pères adoptèrent, pour le travail du lin le système de la corvée, bonne occasion de se réunir et d’exécuter l’ouvrage en commun. Dans la campagne laurentienne d’antan, cette corvée se nommait le brayage du lin.
Brayer est un vieux mot français qui signifie briser, broyer. Et de fait, l’opération principale des travailleurs consistait à écraser les tiges de cette plante de façon à séparer l’écorce des fibres végétales. En français moderne, on emploie le mot brisage pour désigner cette opération. Mais avant de soumettre les tiges de lin à ce traitement, il fallait les préparer de longue main. Ainsi, une fois la moisson terminée, on procédait au battage des gerbes pour en détacher le grain. Puis, les brassées de tiges étaient étendues sur le gazon pendant des semaines afin de les faire « rouir » à la rosée. Le rouissage avait pour but de détruire la matière gommeuse qui soude ensemble les fibres textiles du lin.
Cette première étape achevée, on ramassait les gerbes et on les transportait à la brayerie, c’est-à-dire dans un coin de clairière à l’orée du bois. À cet endroit, les hommes avaient érigé une chaufferie et installé les braies, hachoirs qui servaient à triturer les tiges de lin.
La journée du brayage, une bande de garçons et de filles s’amenaient sur les lieux et se mettaient à l’ouvrage très tôt le matin. Un premier groupe s’affairait autour du feu qu’il fallait alimenter régulièrement afin qu’il ne s’éteigne pas. Car la première étape de la corvée consistait à étendre au-dessus du feu les brassées de lin et ce, afin de faire sécher la tige de la plante.
Tout de suite après, les tiges étaient acheminées vers les braies, sorte de grands hachoirs sous les dents desquels les travailleurs faisaient passer les tiges à plusieurs reprises. À chaque coup, le lin se tordait et crissait. Une fois l’écorce brisée, une filasse luisante et soyeuse sortait de la plante.
Besogne dure qu’on faisait en chantant
Bien que ce fût une corvée, l’atmosphère qui régnait dans le groupe tenait plus de la récréation que du travail. On jasait. On chantait. Et à tout moment, fusaient des plaisanteries et des mots drôles. Rappelons qu’à cette époque les jeunes garçons et les jeunes filles n’avaient pas autant d’occasions qu’aujourd’hui de sortir ensemble et de se fréquenter. Les corvées comme celle-ci servaient donc de lieu de rencontre où se produisaient souvent les coups de foudre qui menaient au mariage.
En fin de journée, le décor de la brayerie s’était transformé. Les grands tas de tiges avaient cédé leur place à des monticules de filasse dorée et à des bottes d’étoupe composée de la partie la plus grossière des fibres. La filasse était rangée au grenier et servait à fabriquer du fil alors que l’étoupe était entassée au hangar et était surtout utilisée à calfeutrer et à boucher les trous.
Même s’ils avaient rudement travaillé toute la journée, les brayeurs avaient encore de bonnes réserves d’énergie. Et ils le démontraient avec brio durant la veillée qui débutait immanquablement à la fermeture du chantier. Stimulés par l’entrain du violoneux, les « jeunesses » dansaient ainsi jusqu’aux premières lueurs du matin.
Extrait de « Les coutumes de nos ancêtres », auteur Yvon Desautels,
autorisé par l’éditeur Éditions Paulines, 1984 / médiaspaul