Septembre 2018
L’ÉPLUCHETTE DE BLÉ D’INDE
Au début de l’automne, nos ancêtres avaient l’habitude d’inviter leurs voisins à une veillée où on effeuillait les épis de maïs.
Cette corvée se déroulait la plupart du temps dans la pièce principale de la maison, soit la cuisine.
Donc, au beau milieu de la grande salle, l’habitant dressait une pyramide de blés d’Inde. À son signal, femmes, enfants, filles et garçons se dardaient sur le monticule en poussant des cris de joie. Et on s’attaquait à la tâche.
Pour être plus à leur aise, les « éplucheurs et les éplucheuses » s’assoyaient pêle-mêle sur les monceaux de maïs, les garçons complotant toujours pour se trouver à côté de l’élue de leur cœur. L’ambiance s’animait rapidement. À travers le froissement des feuilles sèches, les blagues et les histoires crépitaient de tous les côtés. C’était à qui relancerait l’autre. Parfois, un joyeux luron faisait voler un épi au-dessus de la tête de deux amoureux attendris. Ceci déclenchait immanquablement une débâcle de rires et de taquineries à l’endroit des deux tourtereaux.
Véritable fête paysanne
Les jeunes gens mettaient beaucoup d’ardeur à l’ouvrage. Secrètement, ils espéraient être les premiers à découvrir le fameux épi de blé d’Inde rouge. Cette variété de maïs de couleur pourpre-violette est en effet très rare. On n’en trouve qu’un ou deux dans un champ de plusieurs arpents. Et sa découverte conférait l’enviable privilège d’embrasser qui on voulait.
Les garçons s’amusaient beaucoup à ce petit jeu. Souvent, le détenteur de l’heureuse trouvaille dissimulait son épi et allait embrasser, à l’improviste, une ingénue qui ne s’y attendait pas. Et ce n’était qu’à la demande de tous qu’il dévoilait la pièce justificative. D’autres fois, il poussait un cri de joie en brandissant l’épi et, faisant languir un moment l’assistance, se dirigeait vers sa préférée qui rougissait à mesure que le don Juan approchait.
Les jeunes filles, par contre, surmontaient plus difficilement leur timidité. Celle qui découvrait l’épi rouge choisissait plutôt de le refiler à son ami qui, en galant homme qu’il était, l’embrassait sur-le-champ. Ce baiser d’épluchette entraînait parfois une idylle qui finissait au pied de l’autel.
Pendant que le groupe s’affairait et se divertissait, les femmes de la maisonnée installaient un grand chaudron dans la cheminée et y mettaient à cuire les plus beaux épis.
Quand le moment du réveillon sonnait, les invités s’attablaient par groupes successifs, et les assiettes se remplissaient de grosses portions de soupe aux pois, de lard salé, de ragoût de boulettes ou de tourtières, d’épis de blé d’Inde, bien entendu, le tout finalement couronné par les tartes arrosées de crème fraîche.
Une fois les estomacs bien dorlotés, la veillée reprenait au son du violon ou de l’accordéon. On dansait et on chantait jusqu’aux petites heures du matin.
Extrait de « Les coutumes de nos ancêtres », auteur Yvon Desautels,
autorisé par l’éditeur Éditions Paulines, 1984/médiaspaul