450-586-2921, Poste 2303 info@shpl.quebec

Denys Laporte (1845-1872)

Dans un article publié en 1953 dans le Bulletin des recherches historiques, Gérard Bousquet nous a présenté la vie de son grand-oncle, Denys Laporte, et plus spécialement son séjour à Rome comme membre du premier détachement des zouaves pontificaux qui répondirent en 1868 à l’appel du pape Pie IX qui était menacé par les troupes du roi Victor Emmanuel II et de Garibaldi qui voulaient s’emparer de Rome pour unifier l’Italie. Lors de la « Grande démonstration religieuse dans l’église de Notre-Dame de Montréal à l’occasion du départ du premier détachement des Zouaves pontificaux » tenue le mardi 18 février 1868, Denys (ou Jérémie-Denis) Laporte est présenté comme étant de Sorel probablement parce qu’il travaillait à cette époque au magasin général Morgan. Mais contrairement à ce qu’écrivait Bousquet, Denys Laporte n’est pas né et baptisé à Saint-Sulpice le 25 avril 1845 mais plutôt à Lavaltrie.

L’épopée mystique des zouaves fut un grand moment dans l’histoire du Québec alors qu’environ 500 jeunes, transportés par leur foi, se portèrent en 1868-1870 volontaires pour la défense du Pape. À la suite d’une suggestion faite par Mgr Ignace Bourget, évêque du diocèse de Montréal, en décembre 1867, laquelle fut reprise par plusieurs autres évêques et curés, un grand nombre de jeunes ont même délaissé leurs études pour s’enrôler afin d’aller défendre le pape Pie IX. Pour être accepté dans le régiment des zouaves canadiens, il fallait démontrer des qualités non seulement physiques mais aussi morales. En général, il fallait une lettre de recommandation du curé de la paroisse. On a dénombré 383 Canadiens français qui se rendirent à Rome pour rejoindre les armées pontificales avant la reddition du Pape le 20 septembre 1870. Un dernier groupe de 116 volontaires, ayant quitté le Canada le 31 août 1870, étaient bloqués en France lorsqu’ils reçurent la mauvaise nouvelle de la prise de Rome. Mais au moment de la fin des hostilités, la moitié des quatre cents zouaves environ qui s’étaient rendus à Rome avaient terminé leur engagement de deux ans et avaient été rapatriés au Québec. Dans les faits, peu de zouaves canadiens ont participé à des batailles militaires et ont pu se distinguer comme soldats du Pape mais cela n’a pas empêché la population de les considérer comme des héros. 

Avant même que les autorités religieuses du Québec pensent encourager les jeunes gens de la province à joindre l’armée pontificale, un premier Canadien français avait décidé de le faire. Il s’agit de Benjamin-Antoine Testard de Montigny qui fit des études au Collège de Joliette (1851-1852) avant de devenir avocat en décembre 1859. C’est le 15 janvier 1861, alors qu’il se trouva à Paris, qu’il s’enrôla au service du Pape; il passa plusieurs mois dans l’armée pontificale avant d’être licencié le 17 août 1862. Mais fait intéressant, ce premier zouave canadien devait épouser le 10 mai 1869 une fille de Lavaltrie, soit Marie-Louise Hétu, née le 20 juin 1850 du mariage de Pierre Hétu et de Sophronie Guilbault. Journaliste et auteur de plusieurs ouvrages, Benjamin-Antoine Testard de Montigny fut aussi recorder (juge) de la Ville de Montréal. 

Quant à Denys Laporte, il est né le 25 avril 1845 et baptisé le même jour dans la paroisse de Saint-Antoine de Lavaltrie sous les prénoms de « Denys Jérémie ». Son parrain est François Martineau et sa marraine Élise Laporte. Il est le fils de Jérémie Laporte, cultivateur, et d’Élise Lévesque. Son père, Jérémie Laporte, avait d’abord épousé Marguerite Dufour dit Latour qui décéda le 13 février 1831 et fut inhumée à Lavaltrie le lendemain. Quatre de leurs enfants (Phélonise, Émélie, Élise et Léon) se marièrent à Lavaltrie entre 1835 1844. Jérémie Laporte se remaria à Lavaltrie le 15 janvier 1833 (??) avec Élise Lévesque. Le couple fit baptiser à Lavaltrie quatre enfants en plus de Denys, ce sont : J. Ulric né le 11 avril 1833; Élise Caroline née le 26 mars 1836; Edmon né le 26 août 1838; M. Virginie née 21 mai 1842. Jérémie Laporte décéda le 29 mai 1861 et fut inhumé à Saint-Sulpice le 31 mai à l’âge de 73 ans. Son épouse, Élize Lévesque, décéda le 12 août 1882 et fut également inhumée à Saint-Sulpice le 14 août 1882. Il semble bien que la famille Laporte avait quitté Lavaltrie pour s’établir à Saint-Sulpice.

Après avoir assisté aux classes françaises du Collège de l’Assomption en 1859-1860 (on le dit à cette époque de Saint-Sulpice), Denys Laporte alla travailler en janvier 1868 à Sorel, au magasin général Morgan. Pas très intéressé par cet emploi, il décida de répondre à l’appel lancé par les autorités religieuses afin d’aller à Rome à la défense du Pape Pie IX. On raconte que : « Dans l’après-midi du dimanche du 16 février [1868] il se rendait à Lavaltrie, en voiture pour faire ses adieux à ses parents et amis ». Le 18 février, il signa son engagement à l’Institut Canadien situé à Montréal et une importante cérémonie eut lieu en l’église Notre-Dame pour souligner le départ de ces premiers zouaves canadiens. Après avoir pris le train pour se rendre à New-York, il s’embarqua, le 21 février 1968, à bord du navire français Saint-Laurent en partance pour l’Europe. Le 3 mars 1868, il mettait le pied en France pour se rendre d’abord à Paris le 4 mars, et pour repartir le 6 mars pour Lyon et Marseille. Il arriva finalement en Italie le 8 mars et, à Rome, le mardi 9 mars 1868. Le 11 mars 1868, Denys Laporte (matricule 7294 et domicilié à Lavaltrie) revêtait l’uniforme si caractéristique des zouaves et s’en déclara content. Mais il devait vite déchanter de son séjour à Rome comme soldat du Pape alors qu’il fut astreint à différentes corvées et souvent malade. Dans son journal racontant son aventure à Rome et que nous a résumé Gérard Bousquet, Denys Laporte devait décrire en détails son séjour en Italie et ses nombreuses privations comme soldat. Le 12 août 1868, il écrivait qu’il regrettait avoir quitté le Canada et si, ce n’était pas honteux pour un zouave de pleurer, il pleurerait. Dans une lettre adressée à son frère Ulric Laporte le 1er septembre 1868, il déclarait :

« J’ai été courageux de quitter ma patrie, ma mère, et tous mes parents. Je m’ennuie de mon beau pays et de mes amours. Te dire que je ne souffre pas de mon éloignement c’est impossible. Il faut être dans notre peau pour réaliser toute notre nostalgie. Dieu récompensera nos souffrances.

[…]

Te dire que je ne souffre pas, non, ce serait mentir. Que de fois, j’ai mangé mon pain sec. Je crois que dans l’Italie, il n’y a qu’un honnête homme c’est le Pape Pie IX. Les officiers s’accaparent de tout et ne laissent rien pour les pauvres zouaves […]. J’écris tous cela pour réfuter les articles mensongers que des correspondants vendus envoient aux journaux ».

Libéré le 17 mars 1870 et de retour au pays en avril 1870, après deux ans de misères et d’ennuis, et sans jamais avoir fait la guerre, l’ex-caporal Denys Laporte travailla quelques temps comme aide-forgeron chez son frère Edmond Laporte à Oswego, États-Unis. Sentant sa santé déclinée, il revint toutefois à Saint-Sulpice pour découvrir qu’il était atteint de la tuberculose. Il décéda le 10 juin 1872 à l’âge de 27 ans. Il fut inhumé le 14 juin 1872 dans le cimetière paroissial de Saint-Sulpice. Son acte de décès le décrit comme « capitaine des zouaves pontificaux ». Son nom est à jamais inscrit sur les plaquettes de marbre qui se trouvent dans la Basilique-Cathédrale Marie-Reine-du-Monde, à Montréal, pour rappeler le souvenir de ces jeunes « croisés » que le clergé et les journaux avaient encouragés à aller se battre pour leur foi en Italie. Son nom rejoint ainsi celui des autres zouaves originaires de Lavaltrie : Agapit Douaire de Bondy, Étienne Rosseling, Jean-Baptiste Laporte et Lucien Benoit.

Me Jean Hétu,